Ça balance contre la justice du Rocher

Samedi 16 juin 2007 — Dernier ajout dimanche 16 décembre 2007

Ça balance contre la justice du Rocher

Cité par la défense au procès du scandale financier Hobbs-Melville, vendredi à Monaco, un juge d’instruction a vivement dénoncé les pratiques en vigueur dans la principauté.

Par Michel HENRY

QUOTIDIEN : samedi 16 juin 2007

Monaco envoyé spécial

L’orage gronde sur Monaco, et la foudre tombe jusque dans le tribunal. A la barre, Jean-Christophe Hullin, 44 ans, témoigne. Il a été juge d’instruction dans la principauté. Il ne l’est plus, désormais à Paris. Et il balance, sur cette justice monégasque qu’il a quittée « dans des conditions exécrables ». Premier scoop : « Très fréquemment, le procureur général venait me dire quelle peine serait attribuée à quelqu’un. » Selon le juge Hullin, avant certains procès, le procureur (à l’époque, Daniel Serdet) connaissait la décision. Gênant. Ainsi, la peine infligée en 2002 à l’Américain Ted Maher (dix ans de réclusion, pour avoir provoqué l’incendie qui a causé la mort du banquier Edmond Safra) « avait été fixée à l’avance ». Enorme. La présidente de la cour d’appel, Monique François, s’inquiète : cet usage prévaut-il, « y compris pour cette cour d’appel » ? Le juge la rassure : « Non. » Ouf. Puis il continue. Les magistrats français en poste à Monaco ? « Certains n’ont un comportement ni loyal ni moral. Pour eux, être à Monaco, c’est une villégiature. » Il parle d’ « autocensure permanente ». A ce moment, tous les magistrats, au balcon, écoutent attentivement. La présidente : « Ils ne sont pas professionnels parce qu’ils ne travaillent pas ? » « C’est le moins qu’on puisse dire ! » affirme le juge.

Krach. Entre lavage de linge sale en public et psychanalyse collective, l’audience a des airs de jamais vu. Ça hurle entre avocats. La présidente : « On n’est pas sur le marché ! J’ai une audience à terminer ! » La cour juge une gigantesque escroquerie dans laquelle les Américains William et Shelley Fogwell, père et fille, sont accusés d’avoir arnaqué de riches investisseurs, en leur faisant miroiter des placements, avec des rendements de 25 à 55 % par an, via leur société fantoche Hobbs-Melville.

L’affaire s’est soldée par un immense krach en 2000, laissant 400 investisseurs floués. Préjudice : entre 80 et 140 millions d’euros, soit le plus gros scandale financier de la principauté. L’Etat monégasque est sur la sellette, visé par une procédure civile en responsabilité, pour avoir laissé Hobbs-Melville opérer sans agrément. William Fogwell a écopé de cinq ans de prison en première instance, Shelley de quatre ans et demi. En mai, dans le Figaro Magazine, le juge Hullin affirmait : « Le procès [auquel il n’a pas assisté] a été une vraie pantalonnade. » Selon lui, à Monaco, la justice « est parfois tout sauf professionnelle » : « Dès que le palais participe de près ou de loin à l’événement, certains se rangent et l’esprit critique disparaît. » Depuis cette interview qu’il regrette, le juge et sa famille ont fait l’objet de « menaces, insultes, intimidations », visant à le dissuader de venir témoigner vendredi. Il met en cause « un magistrat monégasque » qui serait venu l’insulter lundi à son cabinet parisien, incident dont il a saisi la chancellerie. « On [ce magistrat basé à Monaco, ndlr] m’a aussi annoncé que je serais incarcéré ce matin [vendredi] , dans un dossier de corruption », poursuit-il.

Me Dupont-Moretti, qui défend Jean-Christophe Moroni, ex-courtier de Hobbs-Melville, interroge : « Une procédure de corruption contre vous, comme quoi Moroni vous a payé ? » Hullin : « Tout à fait. On m’a dit "tes séjours à l’hôtel, tes billets d’avion, c’est pas toi qui les paye". » La procureure générale, Annie Brunet-Fuster, tient à préciser : « Je ne suis pas du tout à l’origine d’une enquête. »

Arroseur arrosé, le juge, qui avait été cité comme témoin à la demande de Jean-Christophe Moroni, doit aussi justifier un de ses actes. En octobre 2004, alors qu’il n’était plus saisi du dossier clos, il a ordonné le déblocage d’un compte au Liechtenstein, sur lequel Moroni détenait 400 000 dollars. Ce dernier a ainsi pu les récupérer. Quelle compétence le juge avait-il pour le faire ? « Aucune, reconnaît-il. C’était hors procédure. » Et un peu gênant.

« Délire ». Mais pour Hullin, Moroni, condamné l’an dernier à dix-huit mois ferme, est « innocent à 100 %». Il avait prononcé un non-lieu en sa faveur. Et assure que, pendant l’instruction, le patron de la PJ, Jean-Yves Gambarini, « [lui] téléphonait constamment en demandant : "Qu’est-ce qu’on fait contre Moroni ?" ». Selon Hullin, le policier, qui aurait monté contre Moroni des dossiers « à la limite du faux », affirmait : « Le prince [Rainier] veut qu’on écarte du prince héréditaire [Albert] un certain nombre de ses mauvaises fréquentations. »

Le commissaire proteste : « On est dans le délire le plus total. » C’est vrai : Moroni précise qu’il s’était plaint du policier auprès de son pote « Mgr » Albert. Me Dupont-Moretti suggère un supplément d’information « pour demander à son altesse si elle confirme ! ».

Un peu plus tôt, l’avocat s’était ému de la présence, au balcon, de l’équivalent du ministre de la Justice. « Rachida Dati assiste à beaucoup d’audiences ! » ironisait Me Dupont-Moretti.

Autre originalité : la justice, à Monaco, se rend sous un Christ en croix. Et seul Jésus, vendredi, est resté impassible.

© Libération

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