Un « paradis fiscal » pour les holdings de tous les fleurons de Corporate America

Mercredi 19 septembre 2007 — Dernier ajout samedi 4 avril 2009

SUPPLÉMENT SPÉCIAL : Un « paradis fiscal » pour les holdings de tous les fleurons de Corporate America

Date de parution : Mercredi 19 septembre 2007

Auteur : Angélique Mounier-Kuhn

L’attrait du « Diamond State » repose sur une fiscalité exceptionnellement clémente. Le taux d’imposition local sur les revenus des sociétés s’élève à 8,7%, mais seules les activités exercées au sein de l’Etat y sont assujetties. Mais, surtout, les royalties détenues par les holdings du Delaware sont exemptes d’impôts.

On s’en doutait : le magnétisme irrésistible qu’exerce le « Diamond State » sur les sociétés ne tient pas qu’à sa pratique du droit. Il repose aussi sur une fiscalité exceptionnellement clémente.

Aux Etats-Unis, le Delaware est réputé auprès du commun des mortels pour n’imposer aucune taxe sur les ventes (sales tax). Il draine de ce fait quantité des consommateurs depuis les Etats voisins. Aux sociétés, il offre bien plus que cela. Le taux d’imposition local sur les revenus des sociétés s’élève à 8,7%, mais seules les activités exercées au sein de l’Etat y sont assujetties. C’est un dispositif classique au Etats-Unis : chaque Etat impose les activités qui s’exercent sur son territoire. L’avantage fiscal avec un grand A du Delaware se niche ailleurs : dans les holdings propriétaires des actifs intangibles d’une société, qu’il s’agisse de la propriété intellectuelle, des marques, des brevets, des licences ou bien encore des logiciels (aussi valable pour les holdings qui administrent des investissements intangibles, obligations, actions…). Le géant des jouets Toys R Us est régulièrement cité à titre d’exemple. Une holding basée dans le Delaware est propriétaire de la girafe « Geoffrey », le logo de l’entreprise. Pour s’en servir, les magasins de la chaîne lui reversent des royalties considérables. Dans le Delaware, les revenus de cette franchise ne sont pas imposés puisqu’ils sont engendrés par des actifs intangibles, et dans les Etats dans lesquels sont éparpillés les magasins, ces montants sont déduits des revenus déclarés à l’administration fiscale locale.

« Il suffit d’un employé et d’un bureau »

Autre exemple, une holding du Delaware peut être capitalisée et accorder un prêt à une filiale active dans d’autres Etats. Le remboursement d’intérêts à la holding de Wilmington amoindrira le revenu imposable de cette filiale. Autrement dit, s’ils ne peuvent se soustraire à l’impôt fédéral sur les bénéfices (à 35% le taux est l’un des plus élevés des pays de l’OCDE), en théorie au moins, tous les fleurons de Corporate America ont recours à des holdings du Delaware pour optimiser leur imposition locale. Dix mille holdings du type de celle de Geoffrey la girafe existent. Une telle structure requiert un investissement minimal : « Il suffit d’un employé et d’un bureau », commente Sheldon Pollack, professeur à l’Université du Delaware. « J’invite toujours les sociétés à s’assurer qu’elles font les choses comme il se doit. Elles doivent montrer de la « substance », tempère Rick Geisenberger, de la division des corporations. Ces holdings ne sont pas toujours envisagées d’un très bon œil, notamment par les autres Etats de la Confédération américaine, alors que la part de leurs recettes liée à l’impôt local sur les sociétés a chuté ces dernières années (en 2005, elle ne dépassait pas 4% en moyenne). « Toys R Us a notoirement abusé du système de holding Delaware », estime Matt Gardner, de Citizens for Tax Justice, une organisation basée à Washington. Il dénonce l’usage « illégitime » qu’il est parfois fait de ces structures qui ne servent qu’à « faire bouger artificiellement de l’argent sur le papier ». « Cet Etat est un paradis fiscal domestique », affirme pour sa part Elliott Dubin, de la Commission fiscale multi-état, un organisme public.

Le système de la « déclaration combinée »

« Mais c’est ça, la concurrence ! » s’exclame J.D. Foster, de la très libérale fondation Heritage. « Le système fédéral a été conçu pour permettre aux Etats d’autoriser les gens à choisir ce qu’ils préfèrent. » Par ailleurs, les sociétés « ont un devoir fiduciaire de maximiser leurs bénéfices pour leurs actionnaires », affirme Daniel Mitchell, responsable des questions fiscales à l’institut Cato, un « think tank » ouvertement libertarien. Autrement dit, de réduire le plus possible leurs coûts en utilisant toutes les ficelles fiscales que peut leur offrir le Delaware.

Certains de ces Etats, qui se sentent floués par une concurrence fiscale déloyale, ont poursuivi ou songé à poursuivre des sociétés en justice. « Mais peu d’Etats sont prêts à aller jusqu’au bout d’une procédure. Ils ne veulent pas qu’on les voie comme « anti-business », précise Elliott Dubin. Et ce débat ne fait pas recette à Washington. En réalité, la seule manière qui semble s’offrir aux Etats de faire face à la concurrence du Delaware est de réformer leur propre code d’impôts. Et ils n’hésitent plus à le faire : un tiers d’entre eux ont déjà embrassé le système de la « déclaration combinée », qui impose aux sociétés opérant sur plusieurs Etats de déclarer en un seul formulaire le revenu cumulé de la maison mère et de toutes ses filiales, plutôt que de les considérer comme des entités séparées. Les royalties et les revenus d’intérêt sont de ce fait réintégrés dans les bénéfices imposables. « D’autres Etats, comme celui de Washington ou l’Ohio, n’imposent plus les sociétés sur leurs bénéfices mais sur le chiffre d’affaires brut », ajoute Elliott Dubin.

© Le Temps. Droits de reproduction et de diffusion réservés. www.letemps.ch

Source url de l’article.

Revenir en haut