Un havre pour le blanchiment d’argent ?

Mercredi 19 septembre 2007 — Dernier ajout samedi 4 avril 2009

SUPPLÉMENT SPÉCIAL : Un havre pour le blanchiment d’argent ?

Date de parution : Mercredi 19 septembre 2007

Auteur : Angélique Mounier-Kuhn

La facilité et la rapidité avec laquelle il est possible de créer une société dans le Delaware contribuent largement à son succès : 400 dollars et 24 à 48 heures suffisent à établir une entité, explique Sid Garnett, d’American Incorporators, une agence d’enregistrement de Wilmington qui compte 400 à 500 sociétés suisses parmi ses clients. Le tout en fournissant un minimum d’informations sur les activités envisagées…

Ces dispositions d’accueil très favorables nourrissent aussi les suspicions quant à l’attrait que pourrait exercer cet Etat de la côte Est auprès d’individus mal intentionnés. « La question du blanchiment dans le Delaware est grandement exagérée. C’est peut-être un problème dans d’autres Etats, mais pas dans le Delaware », assène le professeur Elson, spécialiste de la gouvernance d’entreprise à l’Université de Wilmington.

« Il y a quelques années, des « incidents négatifs » impliquant des ressortissants de l’Europe de l’Est ont notamment entaché la réputation de l’Etat », reconnaît néanmoins Sid Garnett. Le Government Accountability Office (GAO), le service d’investigation du Congrès en matière financière, s’est d’ailleurs penché plusieurs fois sur la question des sociétés coquilles ces dernières années aux Etats-Unis, épinglant notamment les véhicules relevant du droit du Delaware.

« Il nous arrive d’être victimes de notre propre renommée », concède Richard Geisenberger, le responsable de la division des corporations auprès du Secrétariat d’Etat à Wilmington. « Tout le monde sait qu’il est facile et peu onéreux de monter une société dans le Delaware. Mais nos lois ne sont pas différentes de celles des 49 autres Etats. Peut-on vraiment décourager les comportements frauduleux ? » « Non, poursuit-il. L’important est qu’un régime prévoie la publication de suffisamment d’informations (« disclosure ») pour permettre de poursuivre une personne qui aurait menti. »

« A part cela, la confidentialité est un pilier fondamental de la liberté », affirme Richard Geisenberger. « La transparence n’est pas un mauvais concept en soi, estime pour sa part J.D. Foster, spécialiste des questions économiques à la fondation Heritage de Washington. Elle ne doit pas s’adresser aux agences gouvernementales mais viser à fournir aux seules parties intéressées à une société les informations nécessaires. »

Pour Dan Mitchell, du Cato Institute, dans la course aux parts de marché de l’industrie de l’incorporation, le Delaware est clairement en concurrence avec les places financières dites « offshore », telle que les Caïmans, les Bahamas ou autres îles Vierges. D’une certaine manière, selon lui, depuis que l’OCDE et son groupe d’action financière, le GAFI - deux instances honnies par ce farouche partisan de la concurrence fiscale - se sont mis en tête de policer ces paradis exotiques, le Delaware serait devenu moins précautionneux que certains d’entre eux. « L’OCDE est très hypocrite, elle ne s’attaque pas à ses propres membres », ajoute-t-il, dont les Etats-Unis…

Une étude publiée au printemps par le secrétariat du Commonwealth (et commanditée par l’ITIO, un groupement de petits pays régnant sur des centres financiers de dimension internationale) soulignait à cet égard que « dans certains domaines cruciaux comme la bonne volonté en matière d’échange d’informations fiscales ou celle d’identifier qui se tient derrière les sociétés et les trusts, les pays membres de l’OCDE n’opèrent pas selon des standards plus élevés que les centre offshore et, dans certains cas importants, ils opèrent selon des standards moins élevés. » Et de pointer nommément le Delaware (et le Nevada) « qui ne requièrent pas des sociétés qu’elles fournissent des informations sur l’ayant droit économique ».

Le Delaware a accompli un petit pas en adoptant un amendement qui impose, depuis le début de l’année, aux agents d’enregistrement (« incorporators ») d’obtenir le nom et les coordonnées d’une personne « naturelle » qui fasse office de contact dans une société. Faute de quoi, l’agent d’incorporation peut dorénavant être poursuivi en justice.

« Il n’existe aucune mesure réaliste qui puisse être mise en place pour décourager les abus. Sur la base d’une analyse coût/bénéfices, toutes les lois contre le blanchiment ont prouvé qu’elles étaient remarquablement inefficaces : 99% de l’argent sale est blanchi. Ces lois sont coûteuses et s’imposent au détriment des activités légitimes », affirme Daniel Mitchell.

« A l’heure même où nous parlons, des gens sont en train d’utiliser leur automobile pour commettre un crime. Doit-on pour autant attaquer Toyota qui construit des voitures ? » demande le spécialiste. Selon lui, il serait tout aussi inapproprié de jeter l’opprobre sur les sociétés du Delaware, sous prétexte que des individus s’en servent à des fins malhonnêtes. Et puis, ajoute le spécialiste, « en établissant une société, vous obtenez une coquille. Mais pour qu’elle soit opérationnelle, il vous faut encore ouvrir un compte en banque ». Et en la matière, les normes de contrôle anti-blanchiment (« Know Your Customer ») sont censées s’appliquer.

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