OpenLux : au Luxembourg, une économie artificielle dopée par les sociétés offshore

Lundi 8 février 2021

OpenLux : au Luxembourg, une économie artificielle dopée par les sociétés offshore

Par Anne Michel , Maxime Vaudano , Jérémie Baruch et Maxime Ferrer

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h17

Enquête Près de la moitié des 140 000 sociétés enregistrées dans le pays sont de pures holdings financières, sans ancrage dans l’économie locale, attirées par les exonérations d’impôts.

Imaginez l’un des pays les plus riches du monde en termes de produit intérieur brut (PIB) par habitant, troisième au classement mondial derrière le Qatar et Macao, dont une partie de l’économie reposerait sur du sable. Une majorité d’entreprises seraient de pures coquilles financières, domiciliées chez de super gestionnaires de « boîtes aux lettres ». Imaginez un pays de cocagne pour les groupes et les grandes fortunes du monde entier, qui exonérerait d’impôt les dividendes, les gains en capital et les droits de succession – le patrimoine financier et l’héritage. Imaginez un pays coffre-fort, au cœur de l’Europe, dont la stratégie fiscale coûterait à ses voisins des milliards d’euros en impôts éludés, en pleine crise économique mondiale.

Ce pays existe : c’est le Luxembourg, la patrie de l’un des « pères de l’Europe », Robert Schuman, et l’un des six Etats membres fondateurs de la communauté européenne. L’enquête OpenLux, menée par Le Monde avec seize médias partenaires, perce le secret des 140 000 sociétés de ce pays de près de 614 000 habitants, grâce à 3,3 millions de documents rendus publics et extraits du registre du commerce du Luxembourg. Cette base de données en révèle pour la première fois l’identité des propriétaires et la nature des actifs. Cet exercice d’analyse micro-économique inédit vient confirmer le statut de paradis fiscal que récuse pourtant le Grand-Duché, un centre financier géant dopé par sa politique en matière de fiscalité, qui concentre sur moins de 2 600 km2 une partie de la fortune du monde dans des sociétés offshore.

OpenLux révèle que près de la moitié des sociétés commerciales du Luxembourg (45 %) sont des holdings financières, qui n’ont d’autre fonction que de détenir des participations dans d’autres entreprises. Ce sont des entités offshore – dont les activités sont situées ailleurs – comme il en existe aux îles Caïman ou dans les îles Vierges britanniques. Elles concentrent à elles seules 85 % du total des actifs des sociétés du Luxembourg, soit plus de 6 500 milliards d’euros d’actifs, selon nos calculs – bien davantage que les florissants fonds d’investissement dont le gouvernement luxembourgeois aime à vanter le succès (4 800 milliards d’euros). Répartition des 6 500 milliards d’actifs des sociétés luxembourgeoises Estimations a minima réalisées à partir de l’exploitation des comptes 2018 et 2019 de 47 147 sociétés. Actifs financiers Actifs immobiliers Avoirs en banque Actifs immatériels Autres actifs 50 % 78,8 % 2,4 % 1,8 % 0,2 % 16,7 % Source : OpenLux

L’analyse de dizaines de milliers de rapports financiers confirme l’objectif exclusivement financier de ces holdings : près de 80 % des actifs déclarés par les sociétés luxembourgeoises sont des participations dans d’autres sociétés du monde entier, loin devant l’immobilier (3 %) ou les avoirs en banque (2 %). En fait d’entreprises, ces sociétés n’ont pas d’ancrage dans l’économie réelle locale. Lire la suite.

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