La justice chilienne s’intéresse au magot de Pinochet

Mercredi 19 octobre 2005 — Dernier ajout mercredi 11 juillet 2007

La justice chilienne s’intéresse au magot de Pinochet

Monde

Si la Cour suprême lève son immunité, l’ex-dictateur risque une mise en examen.

Par Claire MARTIN mercredi 19 octobre 2005

Santiago de notre correspondante

D’imposants murs blancs encadrent une grille haute de plus de deux mètres. Los Flamencos 3 796, c’est la résidence principale d’Augusto Pinochet, au cœur de Lo Barnechea, le quartier résidentiel le plus luxueux de Santiago. Derrière, on aperçoit une belle maison, précédée d’une petite fontaine, un porche encadré de colonnettes carrées. Une propriété de 5 000 m2 environ, deux fois plus grande que les autres, qui se distingue, à l’entrée, par son poste de garde et son militaire en civil, arme discrète et talkie-walkie à la ceinture.

Impossible de s’approcher. Pour garantir la sécurité de l’ancien dictateur, pas moins de 16 membres des forces spéciales de l’armée de terre chilienne montent la garde 24 heures sur 24. Si tous les anciens commandants en chef ont droit à une sécurité, Pinochet est de loin le plus choyé, alors qu’il approche les 90 ans et ne représente plus aucun poids sur la scène politique.

Fonctionnaire. D’autres propriétés, tout aussi luxueuses, l’ancien général et sa femme en possèdent au Chili pas moins de quatorze d’une valeur de plus de 1,2 million de dollars. Une somme qui correspond à peu près à ce que Pinochet aurait gagné sa vie durant, sans rien dépenser, en tant que fonctionnaire aux plus hautes fonctions de l’Etat : président de la République entre 1973 et 1990, et commandant en chef de l’armée de terre de 1972 à 1998.

Or, ces propriétés foncières ne sont que la partie visible de l’iceberg. En juillet 2004, un rapport du Sénat américain sur la banque Riggs de Washington dévoile une fortune cachée aux Etats-Unis par l’ancien dictateur, d’un montant de 4 à 8 millions de dollars. Ses avocats prétextent « des économies, des dons et une partie des fonds secrets de l’Etat ». Aujourd’hui, le juge Sergio Muñoz, chargé de l’enquête sur l’importance et l’origine de cette fortune, l’estime à près de 27 millions de dollars.

Une richesse dont les impôts chiliens n’avaient jamais entendu parler. Pinochet doit au fisc 16,5 millions de dollars. Pour le délit de fraude fiscale notamment, la Cour suprême devrait dire aujourd’hui si elle lève ou non l’immunité de l’ancien dictateur, en sa qualité d’ancien président ­ autoproclamé. Si elle refuse, l’affaire est classée. Si elle confirme la décision prise par la cour d’appel, le procès continue et pourrait déboucher sur une mise en examen. « Ils ont beaucoup d’argent, les parents comme les cinq enfants qui auraient reçu de l’argent de leur père, observe Alfonso Insunza, avocat plaignant dans l’affaire, mais cela n’a rien de tape-à-l’œil. L’argent est en fait dans un incroyable réseau de comptes bancaires et de sociétés off-shore de par le monde. »

Jusqu’à aujourd’hui, le juge d’instruction a mis en évidence plus de 120 comptes bancaires ouverts, certains avec de faux passeports, sous 12 faux noms différents. Il existe aussi 14 sociétés liées à Pinochet, la plupart dans des paradis fiscaux, aux noms de militaires à la retraite, de son ancien exécuteur testamentaire ­ Oscar Aitken ­ et de membres de sa famille. « Un réseau bancaire typique du blanchiment d’argent », souligne l’avocate Carmen Hertz, également plaignante dans l’affaire.

Trafic d’armes. D’où vient l’argent ? Pour ce qui est des fonds secrets, les Pinochet auraient utilisé à des fins personnelles plus de 285 000 dollars. Une somme qui n’explique pas la fortune découverte, d’autant que 90 % de celle-ci auraient été accumulés après 1990, alors que Pinochet n’était plus président, et jusqu’à 1998, date à laquelle il quitte son poste de commandant en chef de l’armée. L’essentiel viendrait en fait du trafic d’armes.

Mi-septembre, le quotidien anglais The Guardian révèle que le plus important fabricant d’armes du Royaume-Uni, BAE Systems, a payé en secret plus de 2 millions de dollars à Pinochet entre 1997 et 2004.

Le juge Muñoz enquête aussi sur l’achat de 25 Mirage belges en 1994, de tanks Léopard hollandais, de 22 chars à la fabrique suisse Mowag et sur la vente illégale de 12 tonnes d’armement à la Croatie, en pleine guerre des Balkans. Un trafic d’armes que l’ancien général n’a pas organisé seul. Des membres de sa famille et des militaires retraités ou encore en activité sont sur la sellette.

L’image du dictateur non corrompu est bien enterrée.

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Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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