Les règles bancaires américaines menacent la finance du monde musulman

Dimanche 6 avril 2003 — Dernier ajout dimanche 4 novembre 2007

Les règles bancaires américaines menacent la finance du monde musulman

Par John Smith, analyste financier américain

07 Avril 2003

La Gazette du Maroc

Après les attaques du 11 septembre menées par le réseau Al Qaïda d’Oussama Ben Laden contre les tours jumelles de New York et le Pentagone, le ministère américain des finances a lancé une campagne sans précédent afin de bloquer la pénétration terroriste du système financier mondial.

Les responsables de Washington ont décrit la campagne comme “la cheville ouvrière” des efforts déployés pour saper Al Qaïda et faire échouer des attaques futures. (1)

Mais comme la campagne de Washington ne dévoile pas ses plans, les entrepreneurs musulmans - grands et petits - jugent les chevilles ouvrières du système financier du monde musulman menacées. Et les organisations caritatives musulmanes se plaignent d’être harcelées dans leurs efforts d’accomplir leur œuvre charitable telle qu’elle est prescrite par le Coran. Résultat de cette situation, nombreux sont les Musulmans qui cherchent par tous les moyens à mettre leurs avoirs à l’abri du “gel”, voire d’une saisie. Dans ce sens, certains dépositaires tentent d’échapper au crible du département américain au Trésor en déplaçant leurs avoirs des centres bancaires internationaux pour les placer dans des comptes de “profil bas” au Moyen-Orient (2).

Le département américain au Trésor a inauguré sa campagne avec une “liste offensive”

Deux semaines après les attaques du 11 septembre,Washington avait procédé au gel des avoirs de 27 individus et organisations. Et le département américain au Trésor avait menacé de prendre des “mesures draconiennes” contre les banques étrangères qui ne se conformeraient pas aux nouvelles règles. Et il n’est pas surprenant de constater que la liste comprenait des terroristes connus ainsi que leurs organisations. Néanmoins, le département américain au Trésor avait également inscrit sur sa liste des organisations charitables telles que : Maskat al-Khadamat/al-Kifah, une organisation caritative soupçonnée depuis longtemps d’être liée à Ben Laden, le Fonds Al Rajhid, un groupe basé au Pakistan qui, sur le plan professionnel, gérait des boulangeries au profit d’Afghans souffrant de pauvreté et, enfin, l’organisation humanitaire Wafa, un groupe financé par des Arabes et qui opère aussi en Afghanistan (3.5).

La deuxième liste instituant le gel par Washington comprenait davantage de terroristes présumés d’Al Qaïda. Parmi ces derniers placés dans le collimateur de la suspicion, le département au Trésor accusait nommément l’homme d’affaires saoudien, Yassin Al-Qadi, qui avait occupé à un certain moment, la présidence de l’actuelle fondation Mouwafak (6.7). Londres avait emboîté le pas à Washington en gelant les avoirs d’Al Qaïda et l’homme d’affaires saoudien a immédiatement saisi la justice pour récupérer son argent. Al-Qaida avait évoqué de “graves préjudices professionnels”. (8.9).

Le département américain au Trésor avait arrêté en novembre la “ liste offensive ” en gelant les avoirs de 62 invidivus et organisations.

Eventuellement, toute personne ou organisation listées étaient en relation avec deux institutions financières : le groupe Al Taqwa basé en Suisse et le groupe Al Barakat ayant pour base la Somalie. Al Barakat faisait tourner un vaste réseau de bureaux de transfert d’argent.

Le gel des comptes d’Al Barakat avait causé beaucoup de détresse dans une Somalie déchirée par la guerre. Et tout juste après, les Nations Unies avaient appelé à l’accroissement de l’aide pour les Somaliens subitement privés de l’envoi d’argent des parents expatriés. Mais le département américain au Trésor n’a pas fini avec le système financier du monde musulman.

Sous la loi américaine promulguée en octobre 2001 sous l’appellation “ The USA patriot Act ”, Washington avait promulgué des règles bancaires de grande portée. S’ajoutant à des régulations bancaires déjà existantes qui ciblaient le crime organisé et les trafiquants de drogue, la loi avait étendu les règles strictes aux Hawalas (mandats), aux fonds communs de placement, aux firmes de courtage, aux compagnies d’assurance et même aux partenariats immobiliers (13-14-15). La loi exigeait davantage de toutes les firmes qu’elles introduisent les règles “connaissez votre client”. L’exigence signifiait que les clients étrangers devaient obligatoirement fournir aux firmes des informations personnelles détaillées. L’exigence avait en réalité accentué la réputation de discrétion des centres bancaires “off shore” tels que Bahrein et le Lichtenstein (16-18).

Et le département au Trésor a rapidement étendu les nouvelles règles bancaires à la communauté internationale. Lors d’une rencontre décidée d’urgence, la force de frappe financière des 29 nations a publié des “recommandations spéciales” à ses membres pour mener des actions immédiates. Les recommandations reflétaient en effet la loi américaine sur les règles bancaires (17).

Washington a été également le fer de lance de l’adoption d’une résoltion par le Conseil de Sécurité de l’ONU mettant sur pied un “groupe de surveillance anti-terrorisme”. Sur recommandation de Washington, le groupe a imposé un embargo financier sur la plupart des individus et entités mentionnés par le département américain au Trésor. Ainsi les ordres de gel financier sont devenus obligatoires à travers le monde. Egalement sur recommandation de Washington, le groupe des 20 nations était tombé d’accord pour la mise sur pied “d’unités de renseignements financiers” afin de promouvoir la coopération entre la police et les régulateurs bancaires dans le domaine des enquêtes sur le terrorisme.

Le G20 comprend le G8 des pays industrialisés de même que les principaux pays en voie de développement tels que l’Indonésie ou l’Arabie Saoudite (20-13). Le département américain a engagé aussi Interpol dans la campagne. Les deux institutions se sont mises d’accord pour créer une banque de données relative aux individus et entités liés au financement du terrorisme. L’accord avec Interpol coiffait la régulation de la campagne du Département au Trésor et soumettait les dépositaires musulmans, à leur insu, à de nouvelles investigations minutieuses (21).

Les banquiers européens avaient donné suite avec vigueur à la campagne du Trésor américain. Ainsi, la banque centrale allemande avait remis aux autorités américaines de nombreux fichiers de clientèle. De son côté, le Lichtenstein a pris la mesure inhabituelle en livrant des données sur Asat Trust, une firme liée au groupe Al Taqwa basé en Suisse (22-23).

Pour leur part, les régulateurs financiers du Luxembourg ont fait circuler une liste de banques moyen-orientales en exigeant des banquiers de mentionner tout contact avec ces institutions. Les régulateurs avaient en tête de liste la Banque internationale de Bahrein, la Kuwait Finance House, Faisal Islamic Bank, la Dubai Islamic Bank et Al Shamal Islamic Bank.

Des personnalités des pays du Golfe indignées ont fait remarquer que les responsables des banques mises en accusation étaient des gens intègres (24).

Cependant, Washington a exercé de fortes pressions sur les Etats du Golfe afin d’imposer des régulations draconiennes à la communauté financière locale. A la mi 2002, les Emirats Arabes Unis, le Koweit et le Qatar avaient adopté des mesures radicales pour bloquer les transactions financières terroristes. La nouvelle loi bancaire qatarie impose de grosses amendes et des peines de prison allant jusqu’à sept ans à l’encontre des auteurs d’infraction (25-26-27).

A la demande des Etats-Unis, l’Arabie Saoudite avait non seulement gelé les comptes locaux d’Al Qaïda mais avait commencé également à surveiller près de 150 comptes appartenant à des hommes d’affaires de marque. Riyad soutenait que cette surveillance visait le blocage de transferts internationaux ou non aux terroristes (28).

Ryad a pour sa part constitué une haute commission pour superviser les œuvres de bienfaisance et s’assurer que les dons sont effectivement destinés aux bonnes œuvres.

Selon l’analyste boursier saoudien Nawaf Obaid, la commission a bloqué 100 millions de dollars de transferts télégraphiques destinés à des groupes en Indonésie, au Bangladesh, au Pakistan et au Maroc. Mais Obaid ajoute que les restrictions imposées aux œuvres de charité par la commission ont causé des chutes “abruptes” des dons (29-30). Les analystes relèvent que cette baisse coïncide avec des informations et des rapports affirmant que des banquiers et des commerçants Saoudiens, effrayés par ces restrictions, sont en train de rompre leurs liens bancaires établis de longue date et de replacer leurs avoirs ailleurs.

Ces avoirs prennent le chemin de l’Asie. Mais d’autres informations affirment “qu’une somme conséquente” prend la direction du Moyen-Orient. Selon Youssouf Ibrahim, un analyste financier basé à New York, près de 200 milliards de dollars ont été retirés des banques surveillées par le Département américain au Trésor.

Traduit de l’anglais par Noureddine Boughanmi

Sources 1 - Washington Post, 1/7/02, US Probe Of Sept. 11 Financing Wrape Up. 2 - Le Monde Diplomatique, Novembre 2002, Al-Qaida’s elusive money men. 3 - Wall Street Journal, 9/25/01, Aiding and Abetting : Bush’s Financial War on Terrorism Strikes at Islamic Charities. 4 - Reuters (Washington), 9/24/01, Bush urges nations to join bin Laden money Freeze 5 - Wall Street Journal : Us to Seize Assets in Antiterrorisme Drive. 6 - New York Times, 10/13/01, 39 Added to list 7 - Washington Post,, 10/13/01, More Assets on Hold in Anti-Terro Effort 8 - Wall Street Journal, 10/26/01, At Yemeni Honey Emporium the US Calls a Terrorist Front, Derision and Anger. 9 - Wall Street Journal, 11/9/01, Saudi Asks Britain to Unfreeze His Assets. 10 - Washington Post, 11/8/01, Businesses Linked to Terrorists Are Raided. 11 - Washington Post, 11/30/01, Somalis Said to Feel Impact of US Freeze of al-Barakat 12 - New York Times, 11/28/901, World Briefing : Somalia : The Forgotten Emergency 13 - National Defense University, Institut for National Strategic Studies , May 2002, Terrorism’s Financial Lifeline : Can it be Severed ? 14 - New York Times, 10/5/01, Senate Panel Approves Money Laundering Legislation 15 - New York Times,1/1/03, Mideastern Investiment in US Properties Soars 16 - New York Times, 10/18/01, Vote Approves New Powers for Antiterrorist Investigators 17 - Wall Street Journal, 11/1/01, International Group Targets Terrorist’s Money Transfers. 18 - Washington Post,2/2/02, US Plan to Stop Terrorists Creates Unease in UN 19 - Reuters (United Nations) ; 2/11/02, Us Treasury envoy defends terror asset freeze list. 20 - Wall Street Journal, 11/19/01, G-20 Agrees to Steps to Block Financing of Terrorist Groups. 21 - New York Times,12/19/01, Global Plan to Track Terror Funds 22 - Wall Street Journal, 10/10/01, Withdrawal Pains :In the Financial Fight Against Terrorism, Leads Are Hard Won. 23 - Wall Street Journal, 11/15/01, US Says al Qaeda has Begun to Feel Financial Squeeze 24 - Washington Post, 9/29/01, European Bank Regulators Help Track al Qaeda Assets 25 - Wall Street Journal, 2/4/02, Saudis Take Steps Againsty Terror Funding 26 - Washington Post, 10/12/01, Diplomatic Dispatches : Kuwait Moves Against Charity Front Groups 27 - AP (Doha), 6/6/02, Qatar approves anti-money laundering law, becoming third Gulf state to do so since Sept.11 attacks 28 - Wall Street Journal,2/6/02, Saudi Arabia Is Monitoring Key Bank Accounts 29 - Washington Transcript Service, 12/03/02, Saudi Policcy Advisor Adel Al-Jubeir Hold News Conference 30 - Washington Post, 12/26/02, The Saudis’ Fight Too End of text

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