Repères sur Isabelle Prévost-Desprez

Jeudi 5 avril 2007 — Dernier ajout lundi 14 août 2017

Isabelle Prévost-Desprez, 47 ans, ancien juge d’instruction au pôle financier.

Que devient-on après avoir poursuivi les banques et les marchands de canons ?

On y revient via un roman.

La justifière

Par Luc LE VAILLANT

QUOTIDIEN : jeudi 5 avril 2007

Une cible comme il s’en accroche aux murs des stands de tir. Dix cartouches à quinze mètres, deux impacts. Et les commentaires manuscrits de ses gardes du corps d’alors : « Trop fort… Vous êtes la meilleure, madame. » Démenti amusé et immédiat d’Isabelle Prévost-Desprez : « Je n’ai pas mis une seule balle dans le mille. Je suis miro. Je raterais un éléphant dans un couloir. » Peut-être, mais l’affichage de ce souvenir dans le bureau de l’ex-juge d’instruction du pôle financier qui s’intéressa aux banques blanchisseuses d’argent ou aux vendeurs d’armes en Angola, raconte plusieurs choses sur ses colères et ses angoisses. 1) Vous pouvez être mise en joue quand vous rendez la justice et que vous égratignez des puissances (banques, francs-maçons, juifs traditionalistes). 2) Rien ne vous empêche de vous défendre et de cogner à votre tour.

On est chez elle, à Paris, au cœur du quartier préféré de la bourgeoisie intellectuelle. Rue Gay-Lussac, code d’entrée : 1968, évidemment. Son accueil est l’exact inverse de ce à quoi on s’attendait. Chaleureux, enjoué, prolixe, à mille lieues de sa réputation de procédurière rigide et d’embastilleuse sans états d’âme, à des années-lumière de la prudence revêche et du quant-à-soi suspicieux qu’on lui imaginait. Le photographe est déjà dans la place et elle papillonne alentour, masquant son inquiétude de s’exposer derrière un pépiement de volière. De ses Flandres natales, elle a gardé l’œil bleu et le cheveu blond, et aussi cette silhouette généreuse de bonne hôtesse, qui ne craint ni les rires des kermesses à la Rembrandt ni la familiarité des drôles de paroissiens. Son père était médecin généraliste dans le pays minier. Il recevait à domicile et il arrivait à l’aînée de ses quatre filles de faire attendre les patients, de rassurer les affolés, de transmettre les mauvaises nouvelles. Elle en a gardé une compréhension de la chose humaine mais aussi une sociabilité mélangeuse de pluie, de beau temps et d’important. Au vol, on saisit que « le bleu » est sa couleur préférée, qu’elle a entendu sa « copine » (ironie) Deneuve en audition, et surtout qu’elle sourit toujours « même dans les moments très durs, manière de contrôler la situation » . Même mélange des genres parmi ses CD : Mozart, Chopin, Bénabar, Delerm, Axelle Red. Pour les livres, il y a les classiques : Balzac, Yourcenar, Tournier. Et les polars, qu’elle « dévore à l’égal du chocolat », Mankell et, surtout, Grisham. Sa référence, son maître.

Elle vient de publier un roman qui, via la fiction, lui permet de revenir sur les affaires qu’elle débusqua et d’expliquer les difficultés de sa fonction.

A l’égal de ses pairs (Halphen, Joly, Montgolfier), elle peut bien craindre « la médiatisation » , elle passe par l’écrit pour se justifier, se faire aimer. Son héroïne se nomme Julie Cruze et lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Autoportrait par Julie interposée : elle serait travailleuse, lucide, déterminée, sachant anticiper et préparant ses auditions, tête de mule et ne se plaignant jamais. Thierry Colombié, son coauteur, y ajoute « rigueur, ténacité, goût pour l’adversité, refus de baisser les bras, et hargne si on l’emmerde trop ». Furieux d’être mis en cause, un banquier avait peint, lui, le versant strictement inverse. Il la décrivait comme « une bourgeoise ni jeune ni laide », comme « une jeune femme nerveuse, psychologiquement instable, incapable de sérénité ». Et il insistait : « Ce n’est pas un juge, mais un adversaire. Elle n’instruit pas, elle accuse. Elle ne prouve pas, elle invective. »

Il faut dire qu’Isabelle Prévost-Desprez s’est lancée sans malice particulière dans des combats qui ont dérangé lobbies, corporations ou communautés. Et pas les moins protégés… Le nom de ses batailles : Sentier 1 et 2, Angolagate, mairie de Paris, COB, Ceccaldi-Reynaud. La liste de ses adversaires : Daniel Bouton (patron de la Société générale), Gérard Longuet, Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani, etc.

Quant à la manière, la dame ne fait pas dans la dentelle. Elle a le mandat de dépôt « sans affect », l’ordonnance de renvoi cinglante et le goût du bras de fer avec le parquet étouffeur ou la défense dilatoire. Elle dit : « Je préfère m’en prendre plein la gueule que de négocier. » Il y a chez elle comme une bienveillance naturelle qui se métamorphose en vindicte agressive sitôt qu’on vient à lui manquer ou qu’on tente de la déstabiliser. En Jeanne d’Arc ingénue, elle a eu la surprise de croiser bien des francs-maçons, dans le domaine politico-financier. D’autant plus radicale que son affranchissement fut tardif, elle reprendrait volontiers le mot d’un de ses officiers de police judiciaire : « Tous les frères n’étaient pas nos clients, mais presque tous nos clients étaient des frères. »

Désormais, elle pense que juges et policiers francs-maçons doivent se déclarer, afin que « le clan cesse d’être plus important que l’individu » . Cette chrétienne d’éducation et de conviction, « en désaccord sur bien des points avec la doctrine apostolique et romaine » s’est aussi fait traiter d’ « antisémite » pour avoir incarcéré un rabbin. Mais, cette mère poule de trois grands adolescents a surtout vu rouge quand, au lycée, l’un de ses petits a subi par ricochet la même mise au ban.

Reste que c’est avec les banques que l’empoignade fut la plus rude. Lobbying, campagnes de presse, manœuvres législatives. Depuis, elle déteste l’arrogance de cette caste. L’ironie veut que son polytechnicien de mari soit banquier d’affaires. A l’époque, il lui disait : « Tu as fait avancer la lutte contre le blanchiment. » Depuis, ils se sont séparés.

Elle voulait être médecin, avant de voir Simone Signoret dans Madame le juge. Auditeur de justice, puis étudiante de Bredin et de Badinter, elle ne rêvait que d’une chose : être juge d’instruction. Elle le fut au cœur du saint des saints, à la galerie financière, aux côtés de Joly, de Courroye, de Van Ruymbeke. Elle ne l’est plus, elle est vice-présidente de tribunal à Nanterre. L’avancement dans la carrière comme la lassitude naturelle ont leur part dans ce renoncement. Mais, c’est aussi parce que les lois Perben et Outreau ont torpillé la fonction de juge d’instruction. Désormais, le pouvoir appartient au parquet ou au siège. Va pour le siège, car elle n’a pas renoncé à en découdre avec la délinquance financière.

Elle refuse de faire allégeance à Sarkozy, comme certains hiérarques qui furent longtemps chiraquiens et changent désormais de monture. Mais, elle refuse aussi de défendre la juge sanctionnée pour avoir choisi Royal. Elle répète : « Un magistrat ne doit pas exprimer ses opinions. » Elle ne s’y risquera pas.

En la matière, peut-être faut-il écouter sa mère, qui dit : « Pour Isabelle, un jupon a toujours raison. » La demoiselle était suffragette et argumentait contre son père antiavortement. Là, elle prétend que les femmes sont plus difficiles à interroger que les hommes, qu’elles ne se laissent pas prendre au jeu de la séduction, quand ces pauvres pommes de bonhommes se coucheraient à la moindre flatterie.

Sa conclusion : « Une femme est plus courageuse qu’un homme. » Ce qui fleure bon les truismes de l’actuel sexisme à rebours.

De là à renseigner sur ses inclinations politiques du moment…

photo BenNi Valsson

Isabelle Prévost-Desprez en 7 dates

12 juillet 1959 Naissance à Lille.

1983 Entrée à l’Ecole nationale de magistrature.

1984 Substitut au procureur de Lille.

1988 Substitut au procureur de Paris.

1992 Juge d’instruction à Paris chargée de la « délinquance astucieuse ».

1998 Juge d’instruction au pôle financier de Paris.

Octobre 2003 Vice-présidente au tribunal de Nanterre.

© Libération

Source Libération.

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