L’Europe au secours des paradis fiscaux

Lundi 17 février 2003 — Dernier ajout mercredi 5 septembre 2007

À FLEUR DE PRESSE - Paradis fiscaux

La Tribune, L’Europe au secours des paradis fiscaux, 17/02/2003 (Jean-François COUVRAT) :

« On considérera bientôt avec une curiosité attendrie le particulier qui acquitte l’impôt sur ses revenus d’épargne, ou la firme multinationale normalement taxée sur ses revenus d’activité. Comment résister à la tentation de frauder le fisc, lorsqu’il suffit de suivre la foule vers d’accueillantes échappatoires, ces paradis fiscaux et autres centres offshore où pas moins de 5 000 milliards de dollars ont élu domicile ?

[…] Comment expliquer que les plus puissants États, se sachant ainsi spoliés depuis si longtemps et connaissant parfaitement les clés de leur infortune, n’aient pas réussi à y mettre fin ?

[…] L’accord européen du 21 janvier sur la fiscalité de l’épargne, […] en trompe l’œil, fait capoter celui que l’OCDE a mis six ans à concocter entre les pays industriels et trente et un paradis fiscaux dits “coopératifs” - et qui devait aboutir à des engagements fermes avant le 28 février.

[… Ces 31] paradis fiscaux […] avaient fini par se laisser convaincre de coopérer.

[…] Tous prennent - ou plutôt devaient prendre - trois engagements. Avant le 31 décembre 2005, ils soumettront au même traitement fiscal résidents et non-résidents. […] En outre, ils seront transparents : les autorités locales auront accès aux informations fiscales, pénales et civiles sur les véritables propriétaires des comptes bancaires. Enfin ces centres pratiqueront l’échange d’information : ils fourniront des renseignements à l’autorité fiscale d’un autre pays, en réponse à une demande concernant une enquête fiscale spécifique.

Sept paradis fiscaux seulement ont refusé toute coopération avec l’OCDE : Vanuatu, Nauru, îles Marshall, Liberia, mais aussi (retenons bien leurs noms) Andorre, Liechtenstein et Monaco. […] On en était là lorsque l’Union européenne a frappé. Son accord du 21 janvier dispense trois pays membres de tout échange de renseignements fiscaux, même à la demande : Autriche, Belgique et Luxembourg. Pourquoi les Caïmans, Antigua et Panama s’y plieraient-ils ?

[…] Enfin l’accord européen prévoit un accord avec la Suisse qui, comme le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche, prélèverait à la source jusqu’à 35 % des revenus de l’épargne, plutôt que de trahir son secret bancaire en pratiquant l’échange de renseignements fiscaux. Mais un tel prélèvement sera-t-il réellement et systématiquement opéré derrière l’épaisse muraille du secret bancaire ? Il suffirait, pour y échapper, de transférer son argent dans la filiale asiatique de sa banque suisse. Curieux accord, curieuses erreurs. […] Il faut être vraiment très indulgent pour privilégier l’hypothèse de la maladresse. »

L’exception monégasque, par exemple, n’est pas un oubli. La Tribune précise (19/02/2003) : « Via la Banque de France, l’État français surveille ce jeu d’équilibriste [monégasque] d’un œil bienveillant : les deux tiers des 50 à 60 milliards d’euros de dépôts collectés sont recyclés dans l’Hexagone. »

Le Canard enchaîné (14/03/2003) en rajoute une louche : Monaco est « un paradis fiscal aussi rentable pour Bercy que naguère Hong Kong pour la Chine… […] Sicilienne, russe, ukrainienne ou colombienne, les mafias adorent le microclimat, tout comme nos présidents africains. Conséquemment, quand un rapport parlementaire (celui de Montebourg-Peillon) décrit ce micro-État comme un “centre offshore favorable au blanchiment”, l’accusation se retourne immédiatement contre Paris, qui profite de cette lessiveuse. »

Enfin, le livre de Frédéric Laurent, Le prince en son rocher (Fayard, 2003) rappelle comment l’on tient un vassal : le très proche entourage de Rainier s’était livré à des manipulations bancaires qui, en 1950, « ont failli priver le jeune prince de son trône » et ont permis à la France de lui mettre « le couteau sous la gorge ». Cinq ans plus tard, le krach de la Banque des métaux précieux manquait d’engloutir l’État monégasque, compromettant à nouveau le Prince. Le Quai d’Orsay a décidé « d’étouffer » l’affaire… Que d’autres ont suivi. Le Prince, lui est forcément au parfum de nombreux scandales politico-financiers. Dès lors, chacun se tient par la barbichette dans la protection d’un lieu de dissolution de l’État de droit et du bien public, en même temps qu’une base arrière de la Françafrique.

Extrait de Billets d’Afrique et d’Ailleurs N°113 - Avril 2003 -

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