Pétrole : fuite au sommet de l’Etat

Jeudi 17 août 2006 — Dernier ajout lundi 28 mai 2007

Pétrole : fuite au sommet de l’Etat

Semaine du jeudi 17 août 2006 - n°2180 - Economie

Alors que le baril frise les 80 dollars…

Au Congo, une partie de la manne pétrolière disparaît dans les paradis fiscaux, accusent des fonds américains créanciers d’un des pays les plus pauvres d’Afrique.

Où partent les pétrodollars ? Qui bénéficie de la manne des milliards de l’or noir, lorsque le prix du baril triple à près de 80 dollars en trois ans ?

Il suffit de se promener dans les rues de Brazzaville, la capitale du Congo, ou de Pointe-Noire, au bord de l’océan Atlantique, pour comprendre que dans ce pays, la population en profite peu. Cette petite république de 3,8 millions de personnes réussit à être à la fois l’un des rares producteurs africains et l’un des pays les plus endettés du monde par habitant. Le golfe de Guinée est devenu un eldorado du brut, qui s’annonce prometteur pour les quinze ans à venir. Situé juste au sud du golfe, près du puissant Angola, le Congo affiche une production de 13 millions de tonnes par an. Pourtant, 70% des Congolais vivent avec moins de 1 euro par jour ! Au point que le Congo fait partie des pays qui réclament l’annulation d’une partie de leur dette publique. Un dossier pour lequel Jacques Chirac milite au sein du club des pays riches, le G8. Mais il ne suffit pas d’être pauvre pour obtenir un coup d’éponge sur ses dettes. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international exigent des preuves de bonne gouvernance et de transparence comptable. Pas de chance pour l’Etat congolais. Des fonds d’investissement américains, qui réclament le remboursement de leurs créances, viennent de faire condamner le pays débiteur devant les tribunaux. Ce qui braque un peu le spot sur les zones d’ombre du marché pétrolier mondial.

L’action judiciaire de ces « fonds vautours », qui avaient racheté à bon compte une partie de la dette congolaise, a mis au jour un système de sociétés écrans contrôlées par des hommes proches du président Denis Sassou-Nguesso. Selon les jugements, que nous avons étudiés, ces sociétés déviaient une partie de l’argent du pétrole, qui représente près des deux tiers de l’activité économique, vers des comptes bancaires situés dans des paradis fiscaux. L’ONG Global Witness estime même qu’il y a un écart de recettes « de quelque 300 millions de dollars, selon ses calculs et selon les propres chiffres du ministère des finances du Congo et de la SNPC [Société nationale des Pétroles du Congo], en 2004. »

Premier jugement : le 28 novembre 2005, la chambre commerciale de la cour royale de Londres condamne le Congo à rembourser des créances impayées à Kensington, basé dans les îles Caïmans. Ce fonds obtient 121,3 millions de dollars (100 millions d’euros) et des saisies sur les paiements de cargaisons de pétrole congolais. Au cœur du dispositif, on découvre une petite entreprise, Sphynx Bermuda, une coquille basée aux Bermudes au capital de 12 000 dollars seulement, qui a « réalisé des opérations pour un montant de 472 millions de dollars » ! Elle achète du pétrole à la société nationale du Congo - souvent au-dessous des prix du marché - et le revend sur le marché international. Selon le tribunal, il n’y a « aucun lien entre les espèces qui transitaient par ses comptes bancaires et les sommes d’argent qu’elle aurait dû recevoir en contrepartie du pétrole qu’elle vendait ». Ces deux sociétés ont le même dirigeant : Denis Gokana, un conseiller de Sassou Nguesso, et l’on retrouve aussi le fils du président.

Ces hommes d’affaires sont fâchés avec la chronologie. La cour britannique a eu la surprise de découvrir le contrat d’une cargaison, achetée le 20 mars 2005 et revendue… le 10 mars. Depuis ce jugement, Walker, un autre fonds, a aussi obtenu la condamnation du Congo. Enfin, Kensington a déposé une plainte contre la société pétrolière nationale, son ancien PDG Bruno Itoua, aujourd’hui ministre de l’Energie, et contre la banque française BNP Paribas, devant la cour de New York, en vertu du RICO Act, une loi antiracket et anticorruption. Le plaignant estime qu’il y a eu une conspiration du Congo et des banques pour mettre hors d’atteinte des créanciers les livraisons de pétrole et leurs recettes. Interrogée, la BNP considère qu’elle est indûment poursuivie dans cette procédure, vieille d’un an, car elle n’a fait qu’escompter des créances d’exportation de façon classique, comme dans le monde entier.

Sous pression, le Premier ministre, Isidore Mvouba, a fini par reconnaître que son pays « cache » ses revenus pétroliers : « Nous sommes obligés de protéger notre argent par des mécanismes parfois peu orthodoxes. » Mais uniquement pour se protéger du harcèlement juridique des fonds vautours qui « cherchent partout nos revenus pour saisir nos comptes afin que nous remboursions ces dettes ». Mais voilà : le président Sassou-Nguesso n’a pas le train de vie d’un nécessiteux poursuivi par des capitalistes sans scrupules. Venu prononcer un discours de quinze minutes au sommet du 60e anniversaire de l’ONU en septembre 2005, il a dépensé 140 000 euros pour une semaine en note d’hôtel.

Cela n’empêche pas la France de se battre pour que le FMI efface 6 milliards de dollars de l’ardoise du Congo.

Problème : il faudra que le pays présente un « bilan macro-économique satisfaisant », une réduction de la pauvreté et des efforts concrets de transparence et de bonne gouvernance. Difficile pour l’équipe en place. Selon le rapport du cabinet KPMG, missionné par le FMI pour contrôler la société pétrolière nationale, les comptes 2002 ne sont « même pas auditables », quant à ceux de 2005, ils montrent des « écarts significatifs » entre les quantités de pétrole livrées et les recettes correspondantes. Or si le Congo échoue dans cet exercice, il faudra qu’il dépose une nouvelle candidature au statut de pays très pauvre. Et celle-ci sera plus délicate compte tenu de la flambée de ses ressources pétrolières.

Gilles Luneau

© Le Nouvel Observateur

Publié avec l’aimable autorisation du Nouvel Observateur.

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