Nouveau coup dur pour les juges financiers

Jeudi 18 mai 2006 — Dernier ajout samedi 2 juin 2007

Nouveau coup dur pour les juges financiers

Société

De Joly à Halphen, une génération de magistrats a fait les frais des pesanteurs politiques.

Par Fabrice TASSEL

jeudi 18 mai 2006

C’était il y a presque dix ans. Le 1er octobre 1996, sept juges européens signaient l’appel de Genève. Ils réclamaient d’urgence une meilleure coopération judiciaire contre la délinquance financière. Parmi eux, Renaud Van Ruymbeke, figure emblématique de la justice financière française, empêtré dans l’affaire Clearstream.

Van Ruymbeke aujourd’hui convoqué par le pouvoir politique ­ à la Chancellerie­, c’est l’image d’une génération de magistrats, pionniers des enquêtes financières, qui accuse un nouveau coup. Eva Joly et Laurence Vichnievsky, le tandem initial de l’affaire Elf, furent les premières à partir, début 2002. Eric Halphen les suivit, usé par les coups tordus subis dans ses enquêtes sur le financement occulte du RPR. Plus discrets, d’autres ont recherché des postes moins exposés : Isabelle Prévost-Desprez, qui instruisit plusieurs dossiers de blanchiment ; Patrick Desmures, un des spécialistes du RPR ; Armand Riberolles, qui enquêta sur la Mnef. Le juge Philippe Courroye, présent dès le début des années 90 avec les enquêtes sur Michel Noir et Pierre Botton, fait presque figure de survivant.

Cette hémorragie a des causes multiples. L’une a été pointée indirectement par Nicolas Sarkozy dans le bureau des juges d’Huy et Pons : comment est-il possible, s’est étonné le ministre de l’Intérieur, qu’une demande adressée à la justice italienne ait mis quinze mois pour revenir en France ? La vraie question est plutôt : pourquoi rien n’a changé depuis l’appel de Genève ? Car, alors qu’un virement bancaire fait le tour du monde en quelques minutes, retracer son parcours prend pour un juge ou un policier des mois, faute d’une coopération suffisante entre les Etats.

La complexité technique de ces affaires est d’ailleurs une autre raison de la lassitude des juges. Clearstream, dont personne n’a démontré de façon indiscutable le rôle de lessiveuse d’argent sale, est un exemple éclatant. Avec du recul, les enquêtes sur le financement des partis politiques semblent si simples, avec leurs témoins bavards et leurs documents comptables accablants. Les failles de la loi offraient aussi des boulevards aux enquêteurs, à tel point que la France a adopté trois textes (1988, 1990 et 1995) pour mettre de l’ordre. Des dossiers plus récents, comme les enquêtes économiques sur Rhodia ou Vivendi, entraînent policiers et juges dans des dédales de sociétés offshore et de paradis fiscaux. Facteur considérable de lenteur : ces dossiers ne sont plus hexagonaux mais planétaires.

Ces juges ont aussi amené leurs adversaires à fourbir leurs armes. Les avocats ont appris à torpiller les procédures. Le pouvoir politique a, via la Chancellerie et les parquets, imposé aux juges des délais… intenables, et les effectifs des policiers ont stagné.

Reste le cas Chirac. Un temps visé par une dizaine de dossiers, mais intouchable en raison d’une immunité dont la réforme n’a été qu’une énième promesse non tenue, le chef statutaire du Conseil supérieur de la magistrature incarne le pouvoir intouchable. Nul doute qu’au Château, certains savourent le caillou glissé dans la chaussure de Van Ruymbeke.

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Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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