Chaisaz, un homme de réseau malmené à la barre

Lundi 18 juin 2007 — Dernier ajout vendredi 25 mai 2007

Chaisaz, un homme de réseau malmené à la barre

Société

Procès des HLM de Paris

L’ancien patron d’un bureau d’étude est resté secret sur les fonds collectés.

Par Karl LASKE

jeudi 16 février 2006

« J’en ai marre, ça va mal se terminer en ce qui me concerne ! Faut arrêter de mettre en cause Jacky Chaisaz ! » Il parle à la troisième personne, Jacky. Il pousse la voix. Au procès des HLM de Paris, l’ancien patron de bureau d’étude s’est imposé, ces derniers jours, comme le plus obstiné des prévenus. Jetant un regard sombre autour de lui, serrant les mâchoires, façon Lino Ventura. Dans l’affaire, Chaisaz a été incarcéré parmi les premiers, en 1994. Par la suite, il a été entendu « par sept juges d’instruction ». Il a bénéficié de deux relaxes. « Tout le monde disait que Jacky Chaisaz, c’était le faux-facturier du RPR, s’indigne-t-il. On m’a mis une croix de faux-facturier dans le dos. Je suis en train de faire des recherches, je me demande si le vase de Soissons, c’était pas Jacky Chaisaz. » D’ailleurs, il se situerait « plutôt à gauche ». « Je n’ai jamais financé un parti politique, je ne connais pas un politique dans mon entourage. » Chaisaz l’a confié au tribunal : il est « un peu bagarreur ». A un agent du fisc qui se promettait d’« avoir sa peau », il a répondu : « Ne me ratez pas, parce que moi, je ne vais pas vous rater. » « Je suis fou. Le fisc m’a rendu fou », dit-il.

Ancien dirigeant dans le BTP, Jacky Chaisaz aborde l’audience en posant les dossiers de la CIA sur le pupitre. La CIA, c’était le nom de sa Sarl. « Ce n’était pas Commission Influence Argent, souligne-t-il. C’était Conseil Information Agrément. » Officiellement, il assistait les entreprises lors des appels d’offre, publics ou privés. Officieusement, il apportait des réseaux, souvent francs-maçons. « Cette appartenance à la franc-maçonnerie était une clé pour avoir des marchés ? », demande le président Olivier Leurent. « M. Chaisaz me l’a dit, il n’avait pas honte », confirme Pierre Bredy, ex-patron d’une société de menuiserie. « Je ne me suis jamais caché », approuve Chaisaz. Par la suite, des commissions étaient demandées par d’autres. Des « oiseaux de nuit », selon l’expression de Bredy.

Liquide. L’un de ces oiseaux semble avoir été Hubert Lopez, un ancien collègue de Chaisaz installé à Monaco. « Chaisaz m’a demandé d’adhérer à un système de fausses factures », confie-il lors de sa garde à vue, en mars 1994. Par convention, Chaisaz verse jusqu’à 90 % de son chiffre d’affaires à Lopez. Qui décaisse en liquide. « Je n’ai pas d’idée sur la destination de ces espèces », déclarait alors Lopez. Placé sur écoute, il explique à un ami que les policiers savaient « tout » : « Je ne pouvais même pas mentir. » GEI, la société facturière de Lopez à Monaco, a sorti 27 millions de francs en liquide de ses comptes, pour divers « prestataires ». Selon Chaisaz, Lopez était un « sous-traitant ». Il n’a rien perçu ni reversé. Tout est régulier. D’ailleurs, Lopez s’est rétracté. Il est décédé en 1997.

« Cela dit, vous avez aussi un compte en Suisse… Black Jack… », relève le président Leurent. Chaisaz approuve. Hubert Lopez y avait versé des fonds. Un gérant de fortune a rapporté que Chaisaz lui avait demandé de « rendre liquides tous ses avoirs en Suisse », soit 7 millions de francs suisses en 1995. « Les entreprises comme la Compagnie générale des eaux et la Lyonnaise tenaient à payer certaines commissions à l’étranger », explique Chaisaz. « Vous avez eu des commissions ? » « Absolument. » « A la demande des entrepreneurs français ? » Il approuve. « C’est que je sentais le soufre, monsieur le président », dit Chaisaz. Et il avait eu un héritage. « Ces 7 millions de francs suisses… Vous les avez gardés ? interroge le président. « Je les ai toujours. » « En espèces ? » « Je les ai placés. » « Où çà ? » « A l’étranger, monsieur le président. »

« Recruté ». Chaisaz croise encore la route d’un autre circuit, celui d’Henri Montaldo. De 1989 à 1993, l’Agence européenne d’affaires (AEA) et l’Agence sécurité service (ASS) créées par Montaldo collectent, selon le décompte de l’accusation, 40 millions de francs auprès d’entreprises du BTP. L’un des gérants, un simple agent de sécurité, parle d’« arroser les partis » mais n’en sait pas plus. Montaldo dit avoir été « recruté » par Chaisaz, après une rencontre en franc-maçonnerie. « Il m’a dit : tu travailleras avec M. Jacques », accuse Montaldo. Chaisaz nie. Le mystérieux Jacques, qui établissait lui-même les fausses factures, a introduit Montaldo auprès du banquier suisse de Chaisaz. Le gérant de fortune l’a confirmé. « En ce qui me concerne, j’ai rencontré M. Montaldo deux fois, dit Jacky Chaisaz. Je ne l’ai plus revu. Je ne connais pas M. Jacques. Je n’ai rien à voir dans cette affaire. J’ignore quel en est le mobile. »

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