Alex Khann, l’homme qui valait 100 millions

Lundi 1er septembre 2014

Alex Khann, l’homme qui valait 100 millions

Par Anne Vidalie, publié le 01/09/2014 à 19:06

La justice soupçonne Cyril Astruc, alias Alex Khann, d’être l’un des princes européens des arnaques à la TVA. En Belgique et en France, il aurait soustrait une centaine de millions d’euros au fisc. Lui nie tout en bloc. Portrait.

[…] La vie, elle, sourit à Alex Khann, né Cyril Astruc le 3 mai 1973 à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Le Byblos, cocon bling-bling aux lumières tamisées, n’est pas son seul trésor. Il possède aussi des boutiques de luxe où les prix donnent le tournis, place Kikar Hamedina, au cœur de la ville. Et habite une villa ultrachic, à deux pas des plages dorées de Herzliya Pituach, avec son épouse, Yaël, et leurs quatre enfants.

Les années ont passé, bientôt quatre, et la fête est finie. Depuis le 10 janvier 2014, Khann-Astruc se morfond dans une cellule de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne). Ce jour-là, au petit matin, les policiers de l’Office central de lutte contre le crime organisé et leurs collègues du service national de douane judiciaire l’ont cueilli à l’aéroport de Roissy, à sa descente de l’avion de Tel-Aviv. Ils le soupçonnent notamment d’être l’un des cerveaux du « casse du siècle » : une gigantesque arnaque à la TVA sur le marché européen des droits d’émission de dioxyde de carbone (CO2), qui, selon la Cour des comptes, aurait coûté 1,6 milliard d’euros à la France.

[…] Mais voilà que, le 28 juin 2010, son téléphone sonne : « Bonjour, c’est le commissaire belge Marc Holsteyn. » Ce barbu sympathique, aussi à l’aise en français qu’en flamand, est le pire cauchemar des escrocs à la TVA d’outre-Quiévrain. A la tête de la section spécialisée de l’Office de contrôle de la délinquance économique et financière organisée, il traque depuis des mois, sous la houlette du juge d’instruction bruxellois Michel Claise, ceux qui ont sévi sur le marché des quotas de CO2 et lésé le fisc belge. Une arnaque de haute voltige...

Fraude à la TVA sur les quotas de CO2

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les Etats ont fixé un plafond annuel de rejets de CO2 aux installations industrielles les plus polluantes. En cas de dépassement de leurs quotas, les entreprises doivent acheter des « droits à polluer ». Si, à l’inverse, elles ne les épuisent pas, libre à elles de revendre des quotas de CO2.

Les fraudeurs ont vite détecté la faille : il suffit d’acheter, hors taxe, des droits de rejet de CO2 dans un pays, puis de les revendre aussitôt dans un autre, taxe comprise cette fois, et d’omettre de reverser la TVA à l’Etat. Le tout noyé dans un maquis de sociétés-écrans et de comptes offshore. Selon l’office de police communautaire Europol, ces manœuvres auraient privé les Trésors européens de 5 milliards d’euros. Au bas mot.

A Bruxelles et à Paris, la même équipe est dans le collimateur des enquêteurs. Elle aurait exercé ses talents en France d’abord, jusqu’à ce que la TVA sur les quotas de CO2 soit supprimée, en juin 2009, puis en Belgique, de septembre à novembre 2009. La banque belge Fortis a payé les pots cassés : cette filiale de BNP Paribas, qui a imprudemment acheté aux aigrefins environ 400 millions d’euros de quotas, a remboursé au fisc bruxellois les 72 millions d’euros de TVA envolés. Un suspect fournit alors au commissaire Holsteyn une précieuse information. « C’est lui, le patron », lâche-t-il en désignant la photo d’Alex Khann dans l’article de Global Vision.

Patiemment, les Belges accumulent les indices. Ils disposent des enregistrements des transactions téléphoniques effectuées auprès du courtier lillois Dubus, accusé d’avoir joué les intermédiaires au profit des escrocs. Si l’essentiel de ces appels est passé par le Franco-Israélien Avi Ben Ezra, grand ami d’Alex Khann, celui-ci décroche son téléphone à plusieurs reprises. « Sous la contrainte », jurera-t-il aux enquêteurs.

Par ailleurs, Benoît Smagghe, directeur commercial de Dubus, a fait un aller-retour éclair à Tel-Aviv, le 28 août 2009, dans un avion affrété par Alex Khann. Les deux hommes voulaient discuter réduction des émissions de CO2 en Afrique, affirmeront-ils par la suite. Smagghe est reparti avec une Rolex en cadeau. Trois jours après, Avi Ben Ezra joint la banque Fortis pour la mettre en contact avec le courtier Dubus. L’opéra tion belge débute deux semai nes plus tard.

« C’est avant tout un blanchisseur »

Persuadé que Khann est le « donneur d’ordres », le commissaire Holsteyn transmet ses informations au juge d’instruction parisien Guillaume Daïeff, chargé du volet français de l’affaire qui aurait amputé de 25 millions d’euros les recettes du fisc. Vérification faite, le nom de Khann, le pseudonyme d’Astruc, figure dans deux autres dossiers entre les mains de ses collègues Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon - des arnaques à la TVA sur le marché de la téléphonie.

Et ce n’est peut-être pas tout. "Grâce à son savoir-faire et à son réseau de sociétés-écrans et d’hommes de paille, Astruc est avant tout un blanchisseur, estime une source proche de l’enquête. Cette organisation, il la met au service d’activités illicites, comme la TVA ou les faux encarts publicitaires dans l’affaire suisse."

Le 30 septembre 2013, on frappe à la porte d’Alex Khann à Herzliya : ce sont des officiers des douanes judiciaires françaises, accompagnés du juge Daïeff et de policiers israéliens. Ils sont venus perquisitionner les lieux et entendre Khann, dont Paris a demandé l’extradition à Tel-Aviv.

[…] « Le patrimoine des délinquants intelligents est planqué dans des sociétés-écrans, de préférence dans les paradis fiscaux, soupire un douanier. Moyennant quoi, il est bien difficile de récupérer l’argent des fraudes à la TVA… »

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