Les millions errants du PR

Samedi 19 mai 2007

L’Express du 30/07/1998

Justice

Les millions errants du PR

par Gilles Gaetner

La juge Vichnievsky enquête sur un prêt consenti au Parti républicain par une banque italienne. Elle soupçonne une opération de blanchiment. Qui en est le bénéficiaire ?

François Léotard risque-t-il d’être mis en examen pour cette obscure histoire de prêt de 5 millions de francs accordé au Parti républicain en juin 1996 ? Son ex-directeur de cabinet, Renaud Donnedieu de Vabres, aujourd’hui député d’Indre-et-Loire, doit-il redouter un sort identique ? C’est fort possible.

Certes, les deux hommes n’ont pas été les donneurs d’ordre de cette opération, mais ils en ont été informés, et connaissaient donc les conditions dans lesquelles le Fondo sociale di cooperazione europea (FSDCE), une banque coopérative italienne, avait octroyé au PR ce fameux prêt de 5 millions. Une façon de faire qui, aux yeux de la juge Laurence Vichnievsky n’est, ni plus ni moins, que du blanchiment d’argent. Cette thèse est d’ailleurs partagée par Alain Madelin et l’ex-magistrat Thierry Jean-Pierre, respectivement président et trésorier de Démocratie libérale - nouvelle appellation du Parti républicain - qui viennent de se constituer partie civile dans une affaire qui promet une lutte au couteau entre le clan Madelin et le clan Léotard.

Retour en arrière. Au printemps 1998, Laurence Vichnievsky enquête sur le Fondo sociale di cooperazione europea. Cet établissement financier, dont le siège est à Milan et qui dispose d’un bureau de représentation à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré, fonctionne sur le mode mutualiste. En clair, les 180 associés sont en même temps ses clients : parmi eux, l’homme d’affaires Charly Chaker, Alain Afflelou, ancien président des Girondins de Bordeaux, la comtesse Rizzoli, compagne de Rolland Courbis, l’ex-entraîneur des Girondins, et même un ancien colonel de la DGSE.

Mais là où le bât blesse, c’est non seulement que les clients déposent beaucoup d’argent en liquide, visiblement pour le blanchir, mais aussi que le président du Fondo sociale, Guy Gennesseaux, ex-adjoint (UDF) à la mairie de Paris, et son fondé de pouvoir, Olivier Mevel, ressemblent plus, selon un témoin, aux frères Dalton qu’à des banquiers expérimentés.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, que des dérapages aient eu lieu. Et que la juge Vichnievsky, en épluchant les comptes du Fondo sociale, ait découvert, d’abord, que le déficit de l’établissement atteignait plus de 94 millions de francs. Ensuite, qu’il avait couvert des mouvements de fonds peu orthodoxes entre Alain Afflelou et Charly Chaker. Enfin, que le Fondo sociale avait accordé au PR un prêt de 5 millions de francs, qui suscite aujourd’hui bien des interrogations.

5 millions de francs en billets neufs

Mai 1996. Le Parti républicain dispose de 5 millions provenant, selon ses dirigeants, des fonds secrets versés sous le gouvernement d’Edouard Balladur. A l’époque, le PR doit régler une somme identique à la Soredim, filiale de la Cogedim, pour l’achat de ses locaux, rue de Constantine, à Paris. Seulement voilà : impossible de verser une telle somme en liquide. Il faut donc la « blanchir » en sollicitant un prêt d’un montant équivalent. Un homme est chargé de cette mission : Serge Hauchart, ancien membre du cabinet de Raymond Barre à Matignon et camarade de promotion à l’ENA de François Léotard.

Hauchart s’adresse alors à la BNP, à la Société générale, au CIC et au CCF. Se heurte à des refus. Jusqu’à ce que le Fondo sociale accepte l’opération. François Léotard donne son feu vert, tant à Hauchart qu’à Donnedieu de Vabres. Le 3 juin 1996, ce dernier dépose donc les 5 millions de francs - en billets neufs de 500 francs liassés - au Fondo sociale. En échange, le PR et la banque signent une convention de prêt d’un montant équivalent, remboursable en 2001. Le 6 juin, le président du Fondo sociale, Guy Gennesseaux, se fend d’une belle lettre à l’ancien ministre de la Défense : « Monsieur le Président, nous avons l’honneur de vous signifier que notre conseil d’administration, après étude de votre dossier de demande de prêt auprès de notre établissement, a décidé d’accorder à l’Association Parti républicain et Républicain indépendant, un prêt hypothécaire in fine sur cinq ans d’un montant de 5 millions de francs au taux nominal net de 7,5%. Le déblocage de ce prêt sera effectif le vendredi 12 juin 1996. »

Tout le monde est content : le PR, qui peut acheter ses locaux, et, bien sûr, le Fondo sociale, qui reçoit 5 millions de francs en liquide. Dans la foulée, un chèque de 5 millions tiré par le PR sur l’American Express - via un notaire, Me Pisani - est remis en règlement à la Soredim.

Galopent les semaines. Le Fondo sociale ne demande pas le versement de ses intérêts. Bizarre. Hauchart, qui a organisé le montage du prêt, alerte Gennesseaux. Lequel ne bronche pas. Et pour cause : il est sur le point d’être débarqué. A la fin de 1997, les intérêts dus par le PR (375 000 francs) n’ont toujours pas été réclamés. Hauchart s’inquiète de plus en plus, quand survient un coup de théâtre : l’ami de François Léotard apprend que la créance du Fondo sociale a été successivement cédée, dans le plus grand secret, à deux mystérieuses sociétés anglaises, d’abord à Confidential Financial Services, puis à Financial Take Over Bid Limited, représentée par un avocat au barreau de Paris, Me Jean-François Velut. Hauchart est interloqué. Début 1998, il est carrément angoissé lorsque Me Velut lui lance : « Financial Take Over Bid Limited est désormais propriétaire de la créance de 5 millions. Le paiement des intérêts n’ayant pas été honoré, cette créance est immédiatement exigible. Vous devez donc régler sur-le-champ 5 375 000 francs. »

Nous sommes en février 1998. Le Parti républicain se nomme désormais Démocratie libérale, avec à sa tête Alain Madelin et Thierry Jean-Pierre. C’est donc à Démocratie libérale que la société anglaise réclame son dû. Une demande qui tombe vraiment mal : les finances du mouvement sont exsangues. Finalement, après plusieurs rencontres, plutôt cordiales, avec Serge Hauchart, Thierry Jean-Pierre règle le montant des intérêts du prêt, soit 375 000 francs, à Financial Take Over Bid Limited, dont le mandataire est, pour cette seule transaction, Serge Hauchart. Affaire classée…

Jusqu’à ce que Laurence Vichnievsky découvre cette histoire. Menant son instruction au pas de charge, elle place en détention, le 24 juin, Guy Gennesseaux et Olivier Mevel, puis, le 2 juillet, Serge Hauchart (qui a été libéré le 24 juillet). La semaine dernière, l’instruction s’accélère : la magistrate perquisitionne coup sur coup au domicile de Renaud Donnedieu de Vabres et au siège de l’UDF, puis met en examen pour blanchiment le directeur administratif et financier de l’ancien Parti républicain, Antoine de Menthon. C’est lui qui a signé, pour le compte du PR, le contrat de prêt de 5 millions. Menthon affirme avoir agi sur ordre de François Léotard. Voici donc celui-ci en première ligne.

Un joli embrouillamini

Entre-temps, Démocratie libérale s’est constituée partie civile, le 9 juillet. Son trésorier, Thierry Jean-Pierre, est furieux. On lui a caché cette affaire, dit-il. Faux, réplique-t-on dans l’entourage de François Léotard, puisque, le 9 mars 1998, Alain Madelin, président de Démocratie libérale, « donnait pouvoir à Thierry Jean-Pierre, le trésorier du mouvement, afin de le représenter à la signature du protocole d’accord comportant prêt de 5 millions […] à souscrire auprès de la société Financial Take Over Bid Limited courant mars 1998 »…

Joli embrouillamini, en vérité. Qui se cache derrière cette société anglaise ? Pour le compte de qui agit-elle ? Les 5 millions déposés en liquide au Fondo sociale provenaient-ils réellement des fonds secrets ? Les enquêteurs, tout comme Thierry Jean-Pierre, en doutent. La juge Laurence Vichnievsky, qui flaire une belle escroquerie, devrait, sans tarder, répondre à ces questions. Pendant ce temps, François Léotard se tait. Considérablement affecté, dit-on, par la guerre que lui mènent désormais ses anciens amis.

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