Paradis fiscaux : L’écroulement en série de pyramides de Ponzi témoigne de l’ampleur du problème

Mercredi 2 septembre 2009 — Dernier ajout jeudi 3 septembre 2009

Septembre 2009 éditorial par A D

Paradis fiscaux : L’écroulement en série de pyramides de pyramides de Ponzi témoigne de l’ampleur du problème

À en croire certains médias, « c’est fini ». Avant même qu’ils n’aient jamais eu à se mesurer véritablement au problème dont ils annoncent le caractère caduc. L’été 2009 marquerait ainsi « la fin du secret bancaire » et celui-là même des paradis fiscaux. La réactivation des listes de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), quelques phrases-chocs au Sommet du G-20 et une entente hors-cour entre l’Union des banques suisses (UBS) et les autorités états-uniennes suffiraient à clore le dossier.

Certes, il y a moult raisons de se réjouir des avancées des derniers mois. Ne serait-ce que du point de vue de l’ordre du jour en vigueur dans les affaires publiques. Les paradis fiscaux sont désormais une question de l’actualité qu’on ne présente plus. On débat maintenant largement du problème qu’ils constituent, au moins en matière fiscale. Surtout, on remet en cause à l’échelle internationale les définitions légales en vigueur dans les juridictions de complaisance, autour de termes tels que l’« évasion » et la « fraude » fiscales. On sait par exemple que la Confédération helvétique s’engageait à ce jour à fournir des renseignements sur les cas de « fraude » en vertu seulement de ce qu’elle définissait, elle, à ce titre. Le nouvel accord de coopération judiciaire qu’elle a signé avec les États-Unis la contraindra à considérer les termes de la partie américaine.

Mais loin d’être clos, le dossier souffre au contraire d’une pénurie de documents et de références. L’OCDE et le G-20 a stigmatisé une liste restreinte de paradis fiscaux seulement, en omettant la City de Londres, les centres financiers chinois et les juridictions offshore à l’intérieur même des États-Unis. Pis, on tend toujours à réduire publiquement la question offshore à la seule question fiscale, en insistant de surcroît sur les fraudes commises par des particuliers. Or, s’il s’agit d’aborder le problème du point de vue de la fiscalité, les stratagèmes légalisés ou non des grandes sociétés multinationales sont celles qui, de loin, expliquent le manque à gagner des États en matière budgétaire, au Nord comme au Sud. Qui plus est, l’activité offshore en tant que telle se trouve tout à fait ignorée, comme si une fois « enfui », l’argent de l’« évasion » fiscale se trouvant « offshore » était planqué dans des îles désertes à la manière des trésors que dissimulaient jadis les pirates. Comme si on n’en faisait aucun usage depuis les lieux d’enregistrement comptable des paradis fiscaux. C’est pourtant là que les problèmes commencent. Où, dans quelles filières et à quelles fins investit-on la moitié du stock mondial d’argent qui y transite ? La question est d’autant plus vive que les filières criminelles de l’époque blanchissent massivement et impunément leur argent dans les centres offshore.

Donc, le problème offshore est loin de sa « fin ». Et pour nous le rappeler, il suffit de lire les dépêches de ces mêmes journaux qui l’enterrent en somnambules. Depuis la fin 2008, la crise financière que l’on sait amène les acteurs économiques à concentrer leurs actifs en récupérant des placements qu’ils ont faits çà-et-là. Ces mouvements de capitaux mettent à nu des fraudeurs insoupçonnés, soit des auteurs de « pyramides de Ponzi » tels que Bernard Madoff, qui feignent d’administrer l’argent qu’on leur confie alors qu’ils puisent seulement dans le lot.

Quatre cas au moins ont été portés à l’attention du public depuis quelques mois seulement. Les quatre concernent les paradis fiscaux.

Le cas Madoff est particulièrement éloquent. L’étude des journalistes Gubert et Saint-Martin sur cet ancien président du Nasdaq, condamné cette année pour une fraude de plusieurs dizaines de milliards $, révèle que les courtiers européens en lien avec lui géraient leurs fonds depuis des comptes de la BNP-Paribas au Luxembourg. Or, cette information n’est pas anodine. Elle ne concerne plus le problème du secret bancaire, mais la façon dont les paradis fiscaux accueillent les capitaux étrangers sans s’enquérir de la nature des transactions en cause. Le Luxembourg « déroule le tapis rouge à tous ceux qui ont de l’argent. Une sicav [société d’investissement à capital variable] peut donc être créée administrativement en quelques jours. Et recevoir son agrément en quelques semaines. Alors qu’en France, les mêmes démarches prennent un temps fou. »1 Cette structure créée en moins de deux a largement facilité les transactions entre les gestionnaires de fonds européens de capitaux et Bernard Madoff.

On apprenait quelques temps plus tard l’écroulement d’une autre « pyramide » de ce genre, cette fois l’œuvre d’une banque privée de l’affairiste texan Allen Stanford, sise à Antigua. Il aurait orchestré une fraude évaluée à quelque neuf milliards $us « par sa banque, la Stanford International Bank, établie à Antigua, avec l’aide de responsables de celle-ci et d’un régulateur financier de cette île des Caraïbes »2. Standford doit à cette banque d’être la plus importante de l’île… parce qu’il est lui-même le maître d’œuvre des structures bancaires de ce paradis fiscal et qu’il siégeait lui-même dans ses structures de « surveillance ». Ses activités auraient également concerné le blanchiment de fonds provenant du trafic de la drogue3.

Pendant ce temps, au Québec, coup sur coup, deux autres cas présumés de fraude se sont déclarés. Earl Jones aurait abusé d’épargnants de tous genres en leur soutirant 50 millions $can. On croit pour le moment savoir que 500 000 $ se trouvent dans un compte des Bermudes : « Le syndic veut obtenir un mandat du gouvernement de ce paradis fiscal pour voir s’il reste encore des fonds dans le compte en question »4. L’Autorité des marchés financiers (AMF) – le gendarme québécois de la bourse – s’est rapidement disculpée en signalant que ce prétendu conseiller financier ne s’est jamais enregistré auprès d’elle, comme le stipule la loi. Ce faisant, non seulement les faits trouvaient-ils à indiquer d’eux-mêmes que ladite loi semble fort peu contraindre ceux qui ne l’observent pas, mais une autre pyramide de Ponzi s’affaissant les jours suivants au Québec, concernant cette fois un administrateur dûment inscrit à l’AMF, allait révéler la vanité de l’argument en question5. Des épargnants représentés par l’avocat Jacob L. Rothman ont placé leurs actifs dans une firme enregistrée aux Bahamas, Progressive Management. Celle-ci n’existerait plus.

Ces cas font actuellement notre actualité, sans parler de ce « coup de filet » aux États-Unis : « Une quarantaine d’élus locaux et cinq rabbins ont été arrêtés hier dans la banlieue de New York lors du démantèlement d’un réseau de corruption ayant des ramifications jusqu’en Israël et en Suisse. […] Les autorités soupçonnent les prévenus de corruption, d’extorsion de fonds, de blanchiment d’argent et de trafic d’organes. »6

S’il s’agit encore de dire la « fin des paradis », c’est en fonction de leurs nombreuses et problématiques finalités, lesquelles n’ont pas encore reçu toute l’attention qu’elles méritent de la part des autorités publiques.

1 Romain Gubert et Emmanuel Saint-Martin, « Et surtout, n’en parlez à personne… », Au cœur du gang Madoff, Paris, Albin Michel, 2009, p. 84.

2 Tabassum Zakaria, « Allen Stanford accusé d’une fraude de 7 milliards », Reuters, repris in Montréal, Le Devoir, 20 juin 2009.

3 G. Favarel-Garrigues, T. Godefroy et P. Lascoumes, Les sentinelles de l’argent sale, op. cit., 276.

4 « Justice : Earl Jones officiellement en faillite », Yahoo Finances, 19 aout 2009.

5 « Fraude pyramidale, Soupçons d’une nouvelle escroquerie », Montréal, Société Radio-Canada, le 31 juillet 2009

6 « Coup de filet anti-corruption près de New York », dépêche de l’Agence France-presse reprise in Montréal, Le Devoir, le 24 juillet 2009.

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