Naples : derrière les ordures, la mafia

Lundi 7 janvier 2008

Monde

Naples : derrière les ordures, la mafia

07/01/2008-19h46 - Cyriel Martin - © Le Point.fr

Naples, ses vestiges archéologiques, ses ruelles typiques… et ses tas d’immondices. Loin des clichés de carte postale, ce sont près de 110 000 tonnes d’ordures qui s’amoncellent au pied du Vésuve. L’armée est intervenue dans la nuit de dimanche 6 à lundi 7 janvier pour désencombrer les rues. Principale responsable : la Camorra, mafia locale.

En Italie, l’expression consacrée pour traiter de la crise napolitaine est « urgence des déchets » (« emergenza rifiuti »). Une urgence qui dure depuis douze ans. En 1996, la principale décharge de Naples, située dans le quartier de Pianura, est fermée car saturée et extrêmement polluante. Problème, il n’existe aucune autre solution pour le traitement des déchets. Le premier incinérateur de la région n’entrant en fonction qu’en 2009, les autres décharges sont rapidement engorgées. Fin décembre, dans l’urgence, les autorités italiennes décident de rouvrir le site de Pianura, contre l’avis des riverains, qui font savoir leur mécontentement avec des manifestations, blocages et incendies volontaires de poubelles.

« Les ordures, c’est de l’or »

Dans une interview au quotidien Repubblica, le chef de la cellule anti-Camorra de Naples, Franco Roberti, explique la situation actuelle par l’omniprésence de la Camorra - la mafia napolitaine - dans l’industrie des déchets. Il rappelle les propos d’un boss repenti, en 1992 : "Je ne fais plus dans la drogue. Non, maintenant, j’ai d’autres affaires. Ça rapporte plus, et surtout il y a beaucoup moins de risques. Ça s’appelle les ordures, et pour nous, les ordures, c’est de l’or.« Pour le procureur, cela ne fait aucun doute : »La Camorra s’intéresse aux déchets car ils sont une urgence infinie. Et où il y a urgence, il y a crime organisé.« Et surtout, à la clef, il y a beaucoup d’argent. D’après Franco Roberti, le coût total de la première phase du cycle de traitement des déchets est estimé entre 500 et 600 millions d’euros par an… Résultat, des entreprises mafieuses masquées, des administrateurs corrompus, et des appels d’offre truqués détruisent la chaîne de traitement légale des déchets. Les experts estiment que le chiffre d’affaires de »l’écomafia" s’élèverait ainsi à 10 milliards d’euros par an.

Organisation implacable

Comme dans toute industrie, la Camorra a mis en place un modèle économique. Le jeune écrivain napolitain Roberto Saviano, auteur du best seller Gomorra - qui décrit le fonctionnement de la mafia napolitaine - l’énonce dans un « J’accuse » publié lundi par la Repubblica : « Le coût du marché pour éliminer correctement les déchets toxiques impose des prix qui vont de 21 centimes à 62 centimes par kilo. Les clans fournissent le même service à 9 ou 10 centimes le kilo. »

Dans son livre-enquête, Saviano explique que même les camions-poubelles ont longtemps été utilisés par la Camorra pour le trafic de drogue : « Le stratagème était génial. Ils utilisaient les camions-poubelles. Dessus, les déchets et dessous, la drogue. Une méthode infaillible pour éviter les contrôles. Personne n’arrêterait un camion-poubelle de nuit, alors qu’il charge et décharge des ordures ».

Lundi, un conseil interministériel extraordinaire s’est déroulé autour du chef du gouvernement Romano Prodi pour trouver une issue rapide à la crise. Les participants sont convenus de se revoir mardi. Ils devraient annoncer des « solutions radicales », selon la formule du maire de Naples. L’État italien a déjà dépensé un milliard d’euros et nommé huit commissaires ad hoc qui se sont succédé pour régler la crise.

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