Noriega extradé vers la France ? Les enjeux cachés de cette extradition…

Mardi 4 septembre 2007

Panama-USA-France : Noriega extradé vers la France ? Les enjeux cachés de cette extradition…

Une contribution de M Marin Marais pour le site paradisfj.info

Nous sommes ravis de publier une excellente contribution de l’un de nos internautes. M. Marin Marais nous a précisé qu’il était prêt à répondre aux questions que ne manqueront pas de soulever son point de vue sur ce dossier complexe.

Les administrateurs du site paradisfj.info à Paris le 4 septembre 2007.

Noriega extradé vers la France ? Les enjeux cachés de cette extradition… par Marin Marais.

Si Noriega revenait au Panama, il ne trouverait pas le pays très changé : trafics en tous genres, blanchiment, corruption judiciaire etc…

En effet si les relations entre Noriega et les USA (avec plus précisément la CIA) ont été plusieurs fois commentées et documentées [à ce propos cf. ce célèbre documentaire indépendant américain, Partie I, Partie II, Partie III ], les relations entre Noriega et la France n’ont pas fait l’objet d’études sérieuses cf, cette timide tentative récente.

Voici seulement quelques remarques en attendant et ceci afin de mieux appréhender les enjeux secrets de la bataille politique et judiciaire de l’extradition de Noriega vers la France.

Noriega eut des relations étroites avec la France, et celle-ci joua un rôle pour le moins ambigü dans la crise entre ce dernier et les USA, à la fin des années quatre-vingt. Noriega a recu la légion d’honneur en raison de son rapprochement avec la France lorsqu’il a été « banni » par la CIA et les Etats-Unis.

En effet, il faut savoir que certains de ses conseillers personnels, qui avaient étudié en France (1), ne cessaient de lui recommander de chercher l’appui d’une puissance tierce pour remédier au marasme économique imposé par le blocus américain. Le Panama ayant accordé avec les USA la libre circulation du dollar depuis 1903, il a suffi aux banques américaines en 1987 de retirer les dollars en circulation pour provoquer le désastre dans ce petit pays d’Amérique centrale.

Noriega suivit les conseils de son entourage et commença donc à faire les yeux doux aux français, et dès que ceux ci répondirent favorablement à ses sollicitations, il négocie avec la France des accords économiques et militaires.

Conséquence immédiate : l’implantation massive de banques françaises sur la place offshore panaméenne, ce qui leur permit de de faciliter le financement occulte de personnalités politiques.

En outre la France, se sentait flattée de pouvoir s’introduire à nouveau dans cette région du monde d’où elle était partie sans honneur. se reporter au fameux scandale de Panama, sans oublier de rappeller que c’est l’ingénieur français Philippe Bunau-Varilla qui a provoqué la sécession du Panama en 1903 et qui a négocié comme envoyé extraordinaire et plénipotentiaire le traité dit de « Hay Bunau Varilla » de 1903 où les Etats-Unis se réservaient la fameuse Zone du Canal… (Ce traité dit de « Hay Bunau Varilla fut remplacé par le Traité Neutralité du Canal de 1977). [Bunau Varilla fut postérieurement déclaré ennemi de la République du Panama].

La France a essayé de plaider la cause du Panama auprès des USA, mais lorsque la situation politique au Panama est devenue critique en raison d’un Général Noriega devenu trop encombrant pour l’administration Bush (père), la France suivit son allié américain et pour cause, les USA rappelèrent sans équivoque aux français que le Panama et son canal restaient dans son stricte zone d’influence selon le traité neutralité du Canal de 1977 encore aujourd’hui en vigueur, cliquez ici pour texte, la France admit très tard faire partie du protocole.

Pour débloquer la crise et sauver la face, la France donna l’asile politique à certains des proches conseillers de Noriega, qui voulaient « continuer la lutte » depuis la France [bien qu’à mon avis ils ont jamais eu l’intention de le faire] et accorda aux côtés des USA un appui inconditionnel aux Nations Unies pour voter en faveur de l’invasion du Panama en décembre 1989. Cette intervention militaire était censée garantir le libre passage du Canal et s’emparer du tyran Noriega. Roland Dumas, le ministre français des affaires étrangères de l’époque, fit à la tribune des NU un plaidoyer ardent du « droit d’intervention » des USA au Panama.

Il faut se souvenir qu’à cette date les intérêts vitaux de la France étaient ailleurs : la France avait besoin de l’appui des américains en Roumanie. Pendant que les médias du monde entier [et surtout français] s’occupaient des faux morts de Timisoara, au Panama mourraient des vrais citoyens sous les armes « new tech » américaines.

Mon opinion personnelle est que Noriega a aidé les américains jusqu’à la fin, consciemment ou inconsciemment, à discréditer le pays et le nationalisme, pour mieux aider les USA à réaffirmer leur influence au Panama et en Amérique du sud, dans une période d’incertitude comme celle qui suivi l’effondrement du mur de Berlin.

Noriega sait beaucoup de choses, et ne peut pas revenir au Panama. Peut être lui-même craint encore ses anciens partenaires des cartels de la drogue qui assurément l’attendent au tournant. La France est donc, pour tous les intéressés de ce dossier, le meilleur endroit pour cacher cet ex-dictateur encombrant. Pour revenir au thème de votre blog, à aucun moment l’invasion américaine [censée finir avec les trafics de Noriega] ne remit en question les lois panaméennes concernant le centres bancaires offshore, les pavillons de complaisance, les sociétés offshores, etc….

(1) Pour aller plus loin voici quelques références sur les conseillers du Général Noriega qui ont des attaches avec la France :

Parmi les proches collaborateurs de Noriega à l’époque de la Dictature ayant été formés en France, nous pouvons mentionner M. Renato Pereira qui a été tour à tour son avocat, son dernier ministre de l’Intérieur et l’un des fondateurs du Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD).

Aux dernières nouvelles, M. Renato Pereira, plus exactement Me Pereira exerce ses talents d’avocat dans un cabinet chargé de fournir clef en mains à qui en a les moyens et surtout la nécessité des sociétés offshore. Paradoxalement, Me Pereira était tout à fait au courant de l’invasion américaine de 1989, et se il parvient à se réfugier… en France d’où il lança un appel à la résistance avant même que les troupes américaines n’accostent au large du Panama.

L’autre ancien conseiller du général déchu ayant également étudié en France, est l’actuel Ambassadeur du Panama à Paris, M. Omar Jaén Suarez.

Géographe de formation M. Jaén fit partie de l’équipe de conseillers du dictateur pendant longtemps mais il a réussi à retourner sa veste juste à temps. Il déploie des efforts considérables pour que son ancien patron le rejoigne Paris.

La visite officielle de l’actuel ministre des affaires étrangères panaméen à Paris en avril dernier a dû vraisemblablement jouer un rôle dans la demande d’extradition de Noriega en France.

Il faut se souvenir que le Panama a encore une monnaie d’échange non négligeable pour convaincre ses partenaires français de garder l’encombrant dictateur qui pourrait perturber la tranquillité des affaires et le boom immobilier actuel : le Panama pourrait donner un appui aux entreprises françaises pour qu’elles arrivent à obtenir l’appel d’offres (qui porte sur plusieurs milliards de dollars) pour la construction des nouvelles écluses du Canal de Panama… Des entreprises françaises pourraient être préqualifiées dans cet appel d’offre qui s’est ouvert le 27 août 2007. En outre il faut préciser que des filiales du groupe Suez, les sociétés Tractebel Engeenering, Coyne et Bellier, et la Compagnie Nationale du Rhône, ont déjà participé au dessin conceptuel des nouvelles écluses achevé l’année dernière.

Enfin, pour achever ce tableau, n’oublions pas de mentionner que l’un des avocats qui fait partie de l’équipe qui cherche à faire revenir le Général au pays est Me Julio Berrios, (un ancien opposant à Noriega) et il est lui aussi diplômé des universités françaises….

M. Marin Marais, le 4 septembre 2007.

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