La chute de la maison Pasqua ?

Mardi 1er mai 2001 — Dernier ajout jeudi 17 mai 2007

La chute de la maison Pasqua ?

« Pasqua dans le viseur des juges », "ose" titrer Libération (20/04/2001).

« Charles Pasqua pour la première fois directement mis en cause par la justice », module Le Monde du lendemain.

Il n’empêche. Celui qui « terrorisait » la classe politique et médiatique, plus encore que « les terroristes », apparaît cette fois sérieusement entravé : l’homme des réseaux est pris dans les rets des juges. Le témoignage de Sabine de Laurencie, jeune collaboratrice de son conseiller diplomatique Bernard Guillet (voir Ils ont dit), a fourni sans doute les derniers nœuds.

L’ancien ministre d’État n’est plus seulement lié à l’Angolagate, par la Sofremi, la famille Falcone et Jean-Charles Marchiani. Il n’est plus seulement le bénéficiaire des largesses de la Corsafrique casinotière 1. Des liens sont attestés avec des personnages plus anciens et plus importants : Étienne Leandri et Nadhmi Auchi, deux inséparables amis 2.

Le premier fut un personnage peu banal : collaborateur des nazis enfui en Italie, émissaire du chef mafieux Lucky Luciano auprès du directeur de la CIA Allen Dulles, absous, sur intervention de ce dernier, de sa condamnation à 20 ans de travaux forcés, cofondateur avec Jacques Foccart et Charles Pasqua de l’ultragaulliste Service d’action civique (SAC), pivot de la grande corruption jusqu’à sa mort en 1995 (il fut longtemps le « commercial » commun d’Elf, Thomson et Dumez). Cet intermédiaire richissime a beaucoup livré de son expérience et ses contacts aux Pasqua père et fils.

Sans doute plus riche encore, l’homme d’affaires irako-britannique Nadhmi Auchi fut au cœur de transactions armes-pétrole. Longtemps premier actionnaire de Paribas, il est soupçonné d’avoir été, via la Banque continentale du Luxembourg (Conti), l’un des pionniers du brassage « industriel » de l’argent sale. Il est présenté comme l’héritier de l’Américano-Luxembourgeois Henry J. Leir.

Celui-ci fut probablement, dans les années cinquante, le plus grand vendeur d’armes au monde - mais aussi l’inspirateur de deux « clubs » influentissimes, précurseurs de l’actuelle mondialisation : le Groupe de Bilderberg (1957), sous influence de l’OTAN, qui réunit chaque année le gratin politique, militaire, industriel et financier du monde occidental ; et la célèbre Commission Trilatérale (1973).

Leir et Auchi apparaissent comme des personnages-clefs derrière l’une des deux sociétés internationales de compensation d’actifs financiers : Clearstream, basée à Luxembourg. Elle est décrite dans Révélation$ - avec sa comptabilité officielle, ses « comptes non publiés », son affection pour les paradis fiscaux, sa tolérance envers les banques mafieuses (Banco Ambrosiano, BCCI, Menatep). Unité de compte : le billion (mille milliards) d’euros.

Le juge Van Ruymbeke a lancé un mandat d’arrêt international contre Abid et Auchi. Ce dernier a touché 400 millions de FF de commissions lors du rachat par Elf de la société espagnole Ertoil. Il était financièrement représenté à Kinshasa et Kigali au moment du génocide de 1994. Lors du vingtième anniversaire de sa holding GMH, à Londres, il a reçu un témoignage d’amitié de plus d’une centaine de parlementaires britanniques, dont Tony Blair et les leaders des deux autres grands partis. Et si Charles Pasqua, persécuté par les juges, demandait l’asile politique à la Grande-Bretagne ?

1. Redoutant d’être incarcérés à Monaco, Robert Feliciaggi et son adjoint Michel Tomi ont poliment demandé à être mis en examen à Ajaccio ! (Le Monde, 21/04/2001).

2. Pour mieux comprendre l’importance de Nadhmi Auchi, il faut lire Denis Robert et Ernest Backes, Révélation$, Les arènes, 2001, p. 319-342.

Le rôle d’Étienne Leandri a été révélé par Julien Caumer, Les requins, Flammarion, 1999. Cf. aussi F.X. Verschave, Noir silence, Les arènes, 2000, p. 108-109, 419-420, 378-381.

Extrait de BAA N°92 - Mai 2001 -

Publié avec l’aimable autorisation de l’association Survie.

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