La SNCF offre des retraites dorées à l’étranger

Jeudi 21 juin 2007 — Dernier ajout mercredi 5 septembre 2007

La SNCF offre des retraites dorées à l’étranger

FABRICE AMEDEO.

Publié le 21 juin 2007

Actualisé le 21 juin 2007 : 07h56

Des cheminots cumulent une retraite en France et une salaire à l’étranger en travaillant pour la SNCF.

CE SONT les retraités dynamiques de la SNCF. Jeunes quinquagénaires, ils sont envoyés à l’étranger pour des missions d’encadrement. Pour les convaincre de reprendre du service à l’autre bout du monde, la SNCF a mis sur pied une filière qui leur permet de cumuler leur retraite en France et un salaire à l’étranger, versé par une société offshore basée sur l’île de Man, qui se situe au beau milieu de la mer d’Irlande.

Des conducteurs de TGV retraités peuvent ainsi toucher une retraite de l’ordre de 2 000 euros net par mois et une rémunération de 6 600 euros net (80 000 euros par an). Légalement, rien n’interdit à un retraité de la SNCF d’embrasser une seconde carrière. La loi française autorise un retraité à percevoir sa pension tout en occupant un emploi, à condition que le cumul ne dépasse pas 160 % du Smic ou la moyenne des trois derniers mois de salaires actifs. Au-delà de ce seuil, la pension est amputée. Le système devient en revanche illégal quand la deuxième source de revenu n’est pas déclarée. Ce qui est le cas.

Tout commence en 2002 lorsque SNCF International, filiale de la SNCF qui commercialise le savoir-faire français auprès des compagnies ferroviaires étrangères, éprouve des difficultés pour trouver d’anciens agents prêts à s’expatrier. Elle envoie alors deux cheminots sur l’île de Man afin d’y créer une société offshore, Rail Road Consultants Ldt. Cette « société de portage de droit britannique » est chargée d’embaucher et de rémunérer les collaborateurs que la SNCF dépêche à l’étranger. L’entreprise publique justifie ce recours à des retraités par la forte hausse du transport de voyageurs en France qui la contraint à conserver tous ses agents actifs sur le territoire.

Ce système présente plusieurs avantages. « L’utilisation d’une telle société de portage permet de baisser les charges patronales de cinq points », explique un rapport réalisé par la direction de l’audit et des risques de la SNCF. Sur les 1,06 million d’euros versés en 2005 par SNCF International à Rail Road Consultants, l’entreprise économiserait 53 000 euros. Mais elle prend un grand risque pour des économies réduites, quand on sait que la filiale de la SNCF a réalisé 17,1 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006.

La direction de la SNCF est, selon nos informations, au courant de cette situation depuis le 10 avril 2006, date à laquelle lui a été remis ce rapport dérangeant. Le document mentionne notamment le « cas d’un ex-agent dont l’utilisation leur posait problème, dans la mesure où il était en situation de préretraite et percevait une indemnité mensuelle de chômage ». Qualifiant le système mis en place d’« opaque », les responsables de l’audit constatent « n’avoir pu obtenir que des informations très succinctes sur la structure de la Rail Road Consultants ». Ils craignent notamment que le système ne se retourne contre la SNCF. Selon eux, Rail Road Consultants s’est constitué « un portefeuille d’experts » qu’elle pourrait valoriser « à peu de frais auprès de concurrents du groupe ».

« Prêt de main-d’œuvre illicite »

Malgré cette mise en garde, les responsables de la SNCF n’ont rien fait depuis un an, alors que « les avantages du régime de retraite des cheminots sont régulièrement critiqués ». La suppression des régimes spéciaux est l’une des mesures phares défendues par Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle.

Certes, l’entreprise n’a aucune obligation d’informer les caisses de retraite. C’est en effet au salarié qu’incombe le devoir de déclarer sa nouvelle activité. Mais le fait d’avoir mis sur pied puis cautionné ce système place la SNCF dans une situation délicate.

L’audit souligne le risque qu’encourrait l’entreprise si un lien de subordination entre sa filiale SNCF International et les salariés sur le terrain était prouvé : une « qualification en prêt de main-d’œuvre illicite ». L’audit tire la sonnette d’alarme sur ce point, car plusieurs contrats de travail stipulent que « l’expert est placé sous l’autorité hiérarchique directe du chef de mission SNCF International ». « Outre le prêt de main-d’œuvre illicite, il est également possible d’invoquer le délit de marchandage : mettre à disposition du personnel qui ne relève pas de son entreprise », commente un juriste parisien.

Les cheminots concernés risquent une suspension de leur pension de retraite et un remboursement des sommes perçues. « La SNCF pourrait très bien devoir comparaître devant un tribunal correctionnel », estime un juriste. Malgré les « risques économiques », les « risques d’image », et les « risques juridiques », les responsables de l’audit estiment que la meilleure solution est de préserver un système qui a démontré son efficacité.

Une obligation d’information des filiales à l’égard des caisses de retraite « pourrait s’avérer contre-productive, compte tenu de l’existence d’un réel marché concurrentiel dans lequel l’expertise de certains cheminots retraités est très appréciée ».

La filière semble donc bien partie pour durer, tant les cheminots français sont appréciés et demandés à l’étranger.

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Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Figaro.

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