Des magistrats veulent un pôle antimafia pour la Corse. La chancellerie reste sourde à leur demande

Samedi 23 octobre 2021

Société Police et justice

Des magistrats veulent un pôle antimafia pour la Corse. La chancellerie reste sourde à leur demande

La juridiction interrégionale spécialisée en matière de crime organisé de Marseille a transmis au ministère, début 2020, un rapport confidentiel, auquel « Le Monde » a eu accès et dans lequel elle dresse un panorama inédit du système criminel insulaire.

Par Jacques Follorou Publié aujourd’hui à 00h51, mis à jour à 10h22

Le moral est en berne au sein de la justice chargée de lutter contre le crime organisé corse. Début 2020, un rapport confidentiel a été transmis à la chancellerie pour défendre la création d’un pôle antimafia doté de pouvoirs spéciaux, afin de faire reculer un fléau qui défie l’autorité de l’Etat sur une partie de son territoire.

Début octobre, lors d’un comité de pilotage, à Marseille, de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) en matière de crime organisé, ses membres ne cachaient pas leur déception face à l’absence de réponse du ministère et au manque de « volonté politique ». Après avoir examiné les demandes, le ministère estime, pour sa part, que l’organisation actuelle « fonctionne plutôt bien ».

Le Monde a eu accès à ce document rare d’une centaine de pages, qui porte les attentes de la JIRS de Marseille, chargée de la Corse. Pour appuyer son propos, elle dresse le bilan de dix ans d’affaires et livre une analyse fouillée du système criminel insulaire. Dans l’histoire judiciaire, c’est la première fois qu’un tel panorama est brossé. Il repose sur près de 150 dossiers traités entre 2009 et fin 2019. Il concerne plus d’une quarantaine de personnes condamnées ou mises en examen. Huit cents ans d’emprisonnement ont été prononcés dans ces affaires et plus de 15 millions d’euros d’avoirs saisis. La conclusion de ce travail est sans appel : « Le banditisme corse revêt toutes les formes du phénomène mafieux. »

« Recueil de témoignages très difficile »

Forte de ce constat, pourtant largement nié par l’Etat, la JIRS estime qu’il convient « d’évaluer [ses] besoins afin d’optimiser [son] action », sans quoi ce pouvoir parallèle continuera de sévir sur l’île et sur le continent. Une manière de dire que, faute d’un bon diagnostic sur la nature de cette violence qui a pris en otage l’île de Beauté et d’une réponse adéquate, la justice continuera de lutter à armes inégales contre la mafia corse.

Il convient, soulignent les auteurs du rapport, « d’analyser les échecs de la JIRS, qui sont souvent la conséquence du manque de moyens et d’une législation mal adaptée, ainsi que la nature même de cette criminalité mafieuse jouant sur la déstabilisation et l’abus de manœuvres dilatoires, et imposant l’omerta et la terreur ».

La JIRS revendique quelques succès, dont « la déstabilisation et l’affaiblissement de clans criminels », notamment grâce à la mise en œuvre de nouvelles techniques d’interception des communications

La JIRS avoue son impuissance face au « système mafieux ». Elle dit être confrontée à une violence qui associe « les crimes de sang pour préserver une emprise sur un territoire » à la vendetta. En Corse, observe-t-elle, « l’interpénétration du banditisme, de l’économie et de la politique » lui complique la tâche. « Les nombreux règlements de comptes ont pour cause non seulement le contrôle des marchés illicites – stupéfiants, jeux, machines à sous –, mais aussi des activités légales – sécurité, spiritueux, immobilier. » Lire la suite.

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