A Monaco, des histoires de gros sous et une révolution de palais

Lundi 21 mars 2022

A Monaco, des histoires de gros sous et une révolution de palais

Par Gérard Davet (Monaco - envoyé spécial) et Fabrice Lhomme (Monaco - envoyé spécial)

Publié aujourd’hui à 19h03

Enquête« Main basse sur le Rocher » (2/2). Dans les coulisses de la Principauté, un violent conflit oppose depuis des années le richissime entrepreneur immobilier Patrice Pastor et certains membres, très influents, de l’entourage du prince Albert.

Ce 30 novembre 2020, Nicolas Saussier est très en colère. Conseiller pour la presse auprès d’Albert II, il écrit à Me Thierry Lacoste, avocat et ami du prince : « La pieuvre pastorienne est partout ! Elle a mis le grappin sur Monaco. “PP” est devenu fou, il n’a plus de limites… » Ce courriel figure sur Les Dossiers du Rocher, le site Internet où sont diffusés, par une source anonyme, de très nombreux documents – pour la plupart authentifiés – mettant en cause l’entourage du souverain monégasque. Une affaire qui ravage la Principauté depuis l’automne 2021.

Ce « PP », dit aussi « P2 », cette supposée « pieuvre », ce serait le multimilliardaire Patrice Pastor, un homme de 49 ans, constructeur, depuis des décennies, d’immeubles et d’appartements loués ensuite à prix d’or. Un personnage incontournable à Monaco, fier et sans fioritures. « Je ne suis pas un mec sympa, prévient-il. Je suis libre, indépendant et j’ai de l’argent, alors… Tout est vrai dans Les Dossiers du Rocher, et tout le monde le sait ! La vérité, c’est que je les énerve. » Patrice Pastor a raison : il est bien dans le collimateur. En Principauté, il y a désormais ceux qui seraient, selon l’expression de ses ennemis, « pastorisés », c’est-à-dire vendus à son clan, et les autres, retranchés au Palais, prêts à endurer un siège, à l’abri des canons et de leurs boulets, emblèmes de la forteresse depuis le XVIIe siècle.

Voici donc le micro-Etat théâtre d’une sorte de guerre de tranchées, avec, au beau milieu, le prince, un drapeau blanc dans une main, un sabre dans l’autre. Car tout son entourage, jusqu’à Albert II lui-même, est persuadé que cette campagne de déstabilisation numérique, dont le coût est estimé par les spécialistes à plusieurs millions d’euros, a été montée par Patrice Pastor en personne, avec l’aide de complices occasionnels. L’explication ? « PP », d’après ses adversaires, aurait été furieux de voir de nombreux projets immobiliers lui passer sous le nez au profit de ses deux rivaux, les entreprenants – mais plus modestes – groupes Caroli et Marzocco.

Quelle est la principale cible des Dossiers du Rocher ? Un quarteron d’hommes puissants, soudés contre les Pastor. Tous sont proches d’Albert II, parfois intéressés sur le plan financier à certains dossiers immobiliers, comme le soulignent les courriels et autres documents piratés pour le compte des Dossiers du Rocher par un « corbeau » à l’évidence bien outillé.

Joute de milliardaires

Au premier rang des personnages visés, l’avocat Thierry Lacoste, mais aussi Claude Palmero, administrateur des biens et bras droit d’Albert de Monaco, ou encore Didier Linotte, le président du Tribunal suprême, la cour constitutionnelle locale. « Pastor veut avoir le pouvoir réel avec le gouvernement à sa botte et l’administration qu’il contrôle, et laisser au prince l’inauguration des chrysanthèmes, analyse M. Palmero. Son patrimoine varie, selon les estimations, entre 12 et 20 milliards d’euros, il pèse plus lourd que le prince ! Mais il se trompe : notre but n’est pas de le détruire, mais qu’il n’y ait plus de monopole. » C’est une joute entre milliardaires, même si le patrimoine du prince Albert II est estimé à « seulement » 1 milliard d’euros… Lire la suite.

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