« Les Etats-Unis sont devenus un pays de de riches, par les riches et pour les riches »

Dimanche 2 janvier 2022

« Les Etats-Unis sont devenus un pays de riches, par les riches et pour les riches »

Tribune Jeffrey Sachs Economiste

Alors que Joe Biden peine à concrétiser ses ambitions réformatrices, l’économiste américain Jeffrey Sachs dénonce quatre décennies de « guerre contre les pauvres » qui ont conduit son pays à la paralysie politique.

Publié hier à 06h15, mis à jour à 06h58

Tribune. Près d’un an après la courte victoire électorale de Joe Biden sur Donald Trump, les Etats-Unis sont toujours sur le fil du rasoir.

Il n’est pas facile de poser un diagnostic sur ce qui fait si profondément souffrir l’Amérique, en son cœur même. Doit-on y voir l’œuvre des incessantes guerres culturelles qui la divisent de part et d’autre de lignes de séparation raciales, religieuses et idéologiques ? Est-ce l’accroissement des inégalités, de fortune comme de pouvoir, parvenues à des niveaux sans précédent ? Est-ce le déclin de sa puissance mondiale face à l’essor de la Chine et aux désastres répétés des guerres dans lesquelles elle a choisi de s’engager ?

Tous ces facteurs jouent leur rôle dans la tumultueuse vie politique américaine. Mais, de mon point de vue, la crise la plus profonde est politique : elle résulte de l’incapacité des institutions à « développer le bien-être général », comme le promet, dans son préambule, la Constitution des Etats-Unis.

Durant les quatre dernières décennies, la vie politique américaine est devenue un jeu fermé, qui favorise les super-riches et les groupes d’influence des grandes entreprises aux dépens de l’immense majorité des citoyens. Warren Buffett a parfaitement analysé l’essence de cette crise en 2006 dans The New York Times : « C’est la guerre de classe, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène la guerre, et nous en sommes les gagnants. »

Le principal champ de bataille est à Washington. Les troupes de choc sont les lobbyistes des grands groupes qui fourmillent au Congrès des Etats-Unis, dans les ministères du gouvernement fédéral et dans les agences de l’administration. Les munitions, ce sont les milliards de dollars dépensés chaque année dans le lobbying fédéral (3,5 milliards de dollars en 2020, environ 3,1 milliards d’euros) et dans les contributions aux campagnes électorales (14,4 milliards de dollars pour les élections fédérales en 2020). Les propagandistes qui attisent la guerre de classe sont les médias concentrés entre quelques mains, notamment celles du multimilliardaire Rupert Murdoch.

Assaut contre le bien-être général

La guerre de classe contre les pauvres n’est pas nouvelle en Amérique, mais elle ne fut véritablement lancée qu’au début des années 1970 et elle a été menée avec une efficacité terrible au cours des quarante dernières années. Pendant environ trois décennies, de l’investiture du président Franklin Roosevelt, en 1933, au beau milieu de la Grande Dépression, jusqu’à la période Kennedy-Johnson, de 1961 à 1968, l’Amérique a suivi les mêmes voies de développement que l’Europe occidentale, devenant une démocratie sociale. Les inégalités de revenu se comblaient, et de nouveaux groupes sociaux, notamment les Afro-Américains et les femmes, rejoignaient le flux principal de la vie économique et sociale. Lire la suite.

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