Denis-la-menace

Jeudi 26 janvier 2006 — Dernier ajout dimanche 3 juin 2007

Denis-la-menace

Semaine du jeudi 26 janvier 2006 - n°2151 - Livres

Il publie un roman explosif

Depuis une quinzaine d’années, au fil d’enquêtes, Denis Robert tord le cou à la corruption. Un combat dont il a fait la matière de « la Domination du monde »

Que les ricaneurs ricanent. Denis Robert, ancien journaliste de « Libé » passé depuis dix ans à la vitesse supérieure dans des livres d’enquête confondants, est de retour avec un roman inspiré de ses mésaventures. On dira qu’il ressasse encore son obsession : les « affaires », corruption, l’argent sale et l’impunité. On moquera la tonalité mégalo du titre (« la Domination du monde ») et l’inusable idéalisme de l’auteur. Et alors ? Dès les premières pages de cet envoûtant roman apparaissent les grandes lignes de son enquête sur Clearstream, organisme interbancaire luxembourgeois, discrète gare de triage du capitalisme mondialisé désignée depuis la publication de son « Révélation$ » (2002) comme la lessiveuse planétaire de l’argent noir du crime et des mafias. Salutaire enquête à l’heure où toute une presse se meurt d’indigence et de conformisme, mais dont la pertinence fut contestée, sans doute par paresse et confort intellectuel. Qu’importe, Denis Robert continue. Pas mécontent, au fond, d’être un David Vincent moderne qui se serait perdu par une nuit sombre, le long d’une route solitaire, dans la jungle économique.

Le Nouvel Observateur. - Où en êtes-vous de vos ennuis judiciaires ?

Denis Robert. - Mes détracteurs multiplient les procédures pour m’épuiser et faire peur aux gens qui pourraient s’intéresser à ce que je dénonce. Ils attaquent dans les pays où mes enquêtes sont publiées. Sur une cinquantaine de plaintes déposées contre mon éditeur et moi-même, on a presque tout gagné. Je subis principalement les foudres de trois adversaires : la Banque générale du Luxembourg et une banque russe, la Menatep. Contre eux, j’ai gagné en première instance et en appel. Clearstream n’a gagné que deux procès en diffamation en France et j’ai été condamné à leur verser un euro alors qu’ils en réclamaient des centaines de milliers. Il y a aussi des procédures à retardement de la magistrature luxembourgeoise. La veille de Noël, le facteur m’a remis une convocation d’un juge. Mais on n’enquête pas sur ce que j’ai écrit, on me poursuit pour vol ou recel de secrets bancaires.

N. O. - Votre héros Klébert est « torturé, amaigri, insomniaque », limite alcoolique. C’est vous ça ?

D. Robert. - J’ai dû être comme ça après la parution de « Révélation$ » (1). On peut crier la vérité, la prouver et se retrouver face à un mur d’indifférence. Je ne m’attendais pas à un tel silence de la presse. Le lobbying de Clearstream et des banquiers pour discréditer mon travail a fonctionné. C’est déprimant. Mais la vie a continué, et assez vite.

N. O. - Dans ce roman, il est beaucoup question de « capitalisme clandestin »…

D. Robert. - Le spectacle que nous donnent du monde les analystes financiers est un mirage. Ils ne prennent pas en compte la masse d’argent qui part dans les paradis fiscaux, l’argent du crime et de toutes les fraudes forcément réintroduit dans l’économie. C’est comme en astrophysique. La matière noire de l’Univers, qu’on appelle aussi antimatière, est beaucoup plus importante que la matière lumineuse, les étoiles, ce qui apparaît. En matière financière, c’est pareil : on exhibe un tas d’indices boursiers, on communique sur des hausses ou des baisses, sans jamais prendre en compte la matière noire et clandestine de la finance. Le mensonge est énorme. Le héros de mon livre, Klébert, frise la folie à force de se heurter à cette évidence.

N. O. - Etre le centre de polémiques doit être usant.

D. Robert. - Je suis écrivain. Je suis libre d’aller et de faire ce que je veux. Ce qui est surréaliste pour moi, c’est qu’au fond, dans mes livres d’enquête, je n’ai fait que dire ce que je considère être la vérité, sans haine ni a priori. J’ai révélé des choses que les gens ignoraient. Il y a trois ans, j’ai écrit un livre érotique « le Bon-heur ». Il s’est vendu à 200 000 exemplaires. Parfois, je me dis que je devrais en écrire un autre, ça me pourrirait moins la vie.

N. O. - En même temps, on a l’impression que vos investigations, de plus en plus ambitieuses depuis l’affaire Longuet, sont aussi pour vous le moyen d’être le superhéros d’un film d’espionnage sans fin. Tout le monde n’a pas été vu à Monoprix avec un garde du corps…

D. Robert. - J’étais encore journaliste à « Libé » à l’époque. Une personne un peu déséquilibrée avait embauché un tueur pour m’éliminer. Bien sûr, on peut dire que je provoque ces situations, mais quand des gens viennent me voir pour me raconter des histoires extraordinaires, je commence par vérifier. C’est alors que les situations se compliquent.

« La Domination du monde », Denis Robert, Julliard, 346 p., 20 euros.

(1) « Révélation$ », les Arènes, 2001 ; « la Boîte noire », les Arènes, 2002. Jugement consultable sur : http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php ?numero_livre=25

Denis Robert a été douze ans journaliste à « Libération », où sa petite phrase est restée célèbre : « Les vieux maos ont abandonné la lutte des classes pour la lutte contre le cholestérol. » Depuis, il écrit et publie des romans (« Chair Mathilde », « Notre héros au travail », « Une ville » ) et des enquêtes (« la Boîte noire »). Il vit en famille près de Metz.

Anne Crignon

© Le Nouvel Observateur

Publié avec l’aimable autorisation du Nouvel Observateur.

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Pour plus de précision visitez le blog de Denis Robert : la domination du monde.

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