L’argent du cacao, le nerf de la guerre

Dimanche 8 juillet 2007

Article paru le 11 juin 2007

Monde

L’argent du cacao, le nerf de la guerre

Côte d’Ivoire. Selon Global Witness, le gouvernement et l’ex-rébellion ont détourné de la filière cacao plus de 110 millions de dollars pour leur effort de guerre.

Correspondance particulière.

Les milliards de consommateurs de chocolat sur la planète sont loin d’imaginer que le rôle dévolu au cacao - principal ingrédient du chocolat - peut être assimilé à celui du bois ou du diamant, dans la crise politico-militaire qu’a traversée la Côte d’Ivoire depuis 2002.

En effet, le rapport de Global Witness sur la filière du plus gros producteur mondial de cacao, sous le titre « Chocolat chaud », montre comment les revenus dégagés du cacao ont contribué à financer la guerre civile. Rappelons que cette ressource, la principale du pays, représente environ 40 % de la production mondiale, soit 35 % d’entrées du PIB en devises équivalant à 750 milliards de francs CFA - environ 1,4 milliard de dollars. Avec une population d’environ 16 millions d’habitants, les experts estiment que 3 à 4 millions de personnes travaillent dans cette filière.

Seulement 10 % du cacao étaient produits dans l’ex-zone rebelle du Nord du pays, le reste, celle du Sud, était sous contrôle gouvernemental. La Côte d’Ivoire est, avec le démantèlement de sa zone de confiance, réunifiée depuis mi-avril. C’est le résultat des accords de paix de Ouagadougou, qui ont conduit l’ex-chef de guerre de la rébellion Guillaume Soro au poste de premier ministre.

Quelle est l’ampleur de ces détournements ? « Près de 118 millions de dollars ont servi à financer ce conflit et les détournements s’étalent sur une période de quatre ans. Le gouvernement et les ex-rebelles en ont été les bénéficiaires. Le premier par des taxes légitimes et des prélèvements sur les revenus du cacao allant aux institutions du pays. Et c’est en particulier dans ce dernier mécanisme qu’il y a eu des détournements pour financer l’effort de guerre. Pour les seconds, certes, les montants sont plus faibles avec la mise en place d’un système de taxe permettant aux FN de prélever par an près de 24 millions d’euros », répond Maria Lopez, de Global Witness, en charge de l’Afrique de l’Ouest. Cette ONG britannique met aussi en avant le rôle joué par des multinationales - où est cité entre autres Dafci, contrôlé à l’époque par l’industriel Vincent Bolloré - dans ces détournements, puisque ces fonds étaient « d’une façon ou d’une autre destinés aux planteurs, à travers le financement des pesticides ».

Cette enquête confirme, dans le détail et chiffres à l’appui, ce qui transpirait, ici et là, sur les origines du « nerf de la guerre » en Côte d’Ivoire. L’ex-rébellion pour survivre, selon un autre rapport, en 2005, de Global Witness, avait mis illégalement jusqu’à 300 000 carats de diamants extraits chaque année dans le nord-ouest du pays sur le marché international via, notamment, le Mali et la Guinée.

Un business s’élevant à près de 25 millions dollars annuel, à en croire le ministère ivoirien de l’Économie de cette époque. Les principaux intéressés n’ont jamais nié, puisque le président ivoirien en était même venu à remercier les acteurs de la filière cacao pour leur « effort de guerre ».

Et c’est dans ce climat de corruption, en particulier de la filière cacao, que Guy-André Kieffer, journaliste à la Tribune, porté disparu, a été enlevé par un escadron de la mort un matin du 16 avril 2004.

Serge-Henri Malet

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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