Yves Bertossa, une recrue sous surveillance pour le Ministère public genevois

Vendredi 29 juin 2007 — Dernier ajout samedi 1er juillet 2017

RÉGIONS : Yves Bertossa, une recrue sous surveillance pour le Ministère public genevois

Date de parution : Vendredi 29 juin 2007

Auteur : Fati Mansour

GENEVE. Le fils de l’ancien procureur général Bernard Bertossa s’est illustré comme un redoutable plaideur. Parviendra-t-il à revêtir l’habit de l’accusateur avec autant de conviction ? Beaucoup l’attendent au tournant.

C’est un substitut pas tout à fait comme les autres qui fera son entrée début septembre dans la magistrature genevoise. Elu hier soir par le Grand Conseil sous la bannière socialiste, Yves Bertossa arrive au sein du Ministère public avec un double héritage. En tant que fils de l’ancien procureur général Bernard Bertossa, qui a marqué de son empreinte cette juridiction durant douze ans, il porte sur ses épaules le poids certain de l’exigence. En tant qu’avocat et redoutable pénaliste, plaidant avec fougue et pertinence la cause de criminels endurcis, il devra encore démontrer qu’il peut revêtir les habits de l’accusateur avec autant de conviction. Attendu au tournant par certains, accueilli avec intérêt, voire enthousiasme, par beaucoup, l’intéressé garde la tête froide.

Portrait.

L’indépendance

Né il y a 33 ans à Genève où il a grandi, Yves Bertossa, davantage passionné du ballon rond que des études, ne se sent ni l’âme d’un scientifique ni celle d’un littéraire. Il entre à la Faculté de droit un peu par défaut et découvre que la matière lui plaît. Après avoir effectué son stage chez Me Raymond Courvoisier, qui est aussi le président de la Cour de cassation, il partage son temps entre le barreau et un poste d’assistant en droit pénal. L’amour du métier l’emporte et il décide de se consacrer entièrement à son travail d’avocat. Mieux encore, d’ouvrir sa propre étude afin de concrétiser l’indépendance et l’investissement personnel qui font la caractéristique de l’homme de loi.

L’aventure

En décembre 2003, la « belle aventure », dira-t-il, commence. Associé à Me Yaël Hayat, avec laquelle il partage une même conception de la profession, il se met à son compte avec une approche généraliste. Yves Bertossa goûte peu la spécialisation à outrance, une technicité qu’il compare volontiers à une forme de « dérive » de nos sociétés, peu compatible avec l’image d’une justice qui doit rester accessible et comprise des citoyens. Il s’ouvre donc au droit de la famille, au droit des obligations et au pénal. Beaucoup au pénal si l’on considère le temps nécessaire à chaque dossier.

Au Palais de justice, les magistrats remarquent rapidement ce jeune avocat. Certes en raison de son nom, mais surtout de ses qualités. « Il a un esprit synthétique et une tactique acérée, il sait de quoi il parle et sait se montrer convaincant », dit de lui un magistrat de la Cour. Bon plaideur, il avait été primé au concours d’art oratoire. Le « petit Bertossa », comme l’appellent certains, parvient à faire son nid et à imposer un style propre. Celui d’un défenseur au caractère entier, une forte personnalité dotée d’un sens certain de la répartie.

Les affaires criminelles lui donnent l’occasion de se frotter au grand banditisme. Il est avec Me Mourad Oussedik, célèbre avocat du Front de libération de l’Algérie aujourd’hui décédé, le défenseur du « cerveau » de l’opération d’extorsion visant le célèbre financier Didier Piguet. Comme conseil de la partie civile, il assiste à la condamnation à perpétuité de l’assassin d’un comptable. Un dossier qui finit de le convaincre que le métier ne s’exerce pleinement qu’à la défense où la tâche est certes plus difficile, l’égalité des armes pas toujours respectée, mais le défi toujours bien plus motivant.

Les dossiers financiers l’intéressent tout autant. Surtout lorsqu’il s’agit de comprendre les mécanismes qui régissent le fonctionnement des sociétés et les dérives susceptibles de mettre en danger « de manière plus importante que la délinquance de rue », précise-t-il, l’équilibre économique et donc la paix sociale.

Le goût du service public

Pourquoi celui qui a su se montrer un ardent défenseur fait-il le pas du Ministère public ? « Ce que j’avais envie de dire comme avocat, je l’ai dit même si je n’ai peut-être pas toujours été compris. Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir atteint les limites de la satisfaction liée à ce métier et à la défense d’intérêts individuels. J’arrive à une étape où le besoin de participer à une entreprise collective s’impose », explique Yves Bertossa. C’est avec une impatience non dissimulée qu’il attend de poursuivre ses curiosités sous un autre angle, celui de l’accusation d’abord et, pourquoi pas, du juge du siège ensuite. Le changement d’habit ne semble guère l’effrayer. Il est convaincu de pouvoir garder son esprit d’indépendance et rester fidèle à ses convictions à son nouveau poste de magistrat. Et se réjouit de vivre de l’intérieur ce bouleversement que constituera l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure pénale unifiée, prévoyant notamment la fusion du Parquet et de l’instruction.

Une source de fierté

A ceux qui le voient marcher sur les traces de son père, Yves Bertossa répond avec distance. « Consciemment, je n’y vois pas d’influence. Mon père n’a pas été pour moi une source de motivation mais bien plutôt de fierté. Les gens se posent toujours beaucoup plus de questions que je ne m’en pose moi-même. Libre à eux de tirer leurs conclusions et d’imaginer le pourquoi du comment. »

Il y a pourtant quelque chose que cette filiation semble lui avoir clairement transmis. C’est cette volonté de participer un jour ou l’autre au bien-être du plus grand nombre.

© Le Temps. Droits de reproduction et de diffusion réservés. www.letemps.ch

Source url de l’article.

Revenir en haut