Les « diamants du sang » de Charles Taylor

Mardi 5 juin 2007 — Dernier ajout lundi 11 juin 2007

Afrique

Les « diamants du sang » de Charles Taylor

Président entre 1997 et 2003, il a mené une guerre civile qui a fait plus de 300 000 morts.

Par Thomas HOFNUNG

QUOTIDIEN : mardi 5 juin 2007

En Afrique de l’Ouest, il y a un « avant » et un « après » Charles Taylor. L’homme dont le procès a débuté hier, à La Haye, a littéralement bouleversé le destin de la sous-région. Le feu qu’il a allumé au Liberia, un soir de Noël 1989, s’est propagé, deux ans plus tard, à la Sierra Leone, un pays connu jusqu’alors pour ses plages de sable fin prisées par les touristes. Au total, plus de 300 000 personnes ont péri durant les guerres civiles des années 90 qui ont ravagé ces deux pays. Des centaines de milliers de personnes ont également fui dans les pays voisins, notamment en Guinée et en Côte-d’Ivoire, qui connaît elle aussi les affres de la guerre civile depuis l’automne 2002.

Mais plus encore que le nombre des victimes, c’est la cruauté des crimes commis qui a frappé les esprits. Des bataillons d’enfants soldats, drogués, coiffés de perruques ou le visage caché derrière un masque de tête de mort, ont écumé la sous-région, tuant comme d’autres jouent aux gendarmes et aux voleurs. Si l’un d’entre eux tombait, il suffisait pour les autres de changer de gri-gri avant de repartir au front… Pour « casser » tous leurs repères moraux afin de les dominer, leurs recruteurs les avaient auparavant obligés à tuer leurs parents de leurs propres mains.

« Il a tué papa ». Parmi les chefs de guerre qui se sont « illustrés » au Liberia, l’un d’eux a connu une destinée hors norme : Charles Taylor. En 1997, l’ancien chef des rebelles du Front national patriotique du Liberia a été élu président avec ce slogan en forme d’avertissement : « Il a tué papa, il a tué maman, je vote pour lui. » En cas de défaite, Taylor avait promis de remettre à feu et à sang le pays. Mais son règne politique aura finalement été bref : en août 2003, acculé dans Monrovia par deux mouvements rebelles, lâché par ses alliés africains et soumis à la pression diplomatique des Etats-Unis, il quittait la scène pour un exil doré au Nigeria, avant d’être finalement arrêté et transféré à La Haye en mars 2006.

L’histoire de cet homme barbu et de petite taille est celle d’une soif inextinguible de pouvoir et d’argent, conjuguée à l’absence de tout scrupule moral. Charles Taylor est né en 1948 au sein d’une famille aisée de descendants d’esclaves affranchis venus des Etats-Unis pour fonder, au début du XIXe siècle, sur la terre de leurs « ancêtres », la patrie des hommes libérés, le Liberia. Elève turbulent, le jeune Charles est envoyé à Boston, aux Etats-Unis, où il va décrocher un diplôme d’économie.

De retour à Monrovia, l’ambitieux intègre la fonction publique, au début des années 80. Chargé des commandes pour le compte du gouvernement, il acquiert le surnom de « Superglu » du fait de sa capacité à capter l’argent qui lui passe entre les mains. En 1983, accusé du détournement d’un million de dollars, il est incarcéré aux Etats-Unis. Pas pour longtemps : en 1985, il s’évade dans des conditions mystérieuses (grâce à l’aide des services secrets américains, accusent certains sans en apporter la preuve) et parvient à regagner le continent africain.

La trajectoire de Charles Taylor croise alors celle de plusieurs parrains bien disposés à son égard : l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny qui a des comptes personnels à régler avec le pouvoir alors en place à Monrovia, le dirigeant burkinabé Blaise Compaoré, jamais en retard d’une intrigue pour placer ses pions dans la sous-région et, surtout, le colonel libyen Muammar Kadhafi, prêt à toutes les aventures pourvu qu’elles se parent d’atours anticolonialistes.

En cheville avec Al-Qaeda. Après s’être entraîné dans le désert libyen, équipé et financé par Abidjan et Tripoli, Taylor se lance en 1989 à la conquête de Monrovia, objectif qu’il n’atteindra que huit ans plus tard ­ cruelle ironie de l’histoire ­ par les urnes. Pour financer une guerre qui dure, le chef rebelle « exporte » sa guerre en Sierra Leone, en soutenant l’un de ses lieutenants, originaire de ce pays, Foday Sankoh. Pour soumettre la population, les rebelles n’hésitent pas à mutiler leurs victimes après avoir posé cette question : « Manche longue ou manche courte ? » Sur place, Taylor et Sankoh accaparent les mines de diamants qui leur permettent d’acheter des armes, tandis que leurs « soldats » se « payent » en violant et en pillant tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin.

Malgré l’ampleur des crimes commis, la communauté internationale est longtemps restée atone, pendant que les exportateurs européens ou américains de bois et de caoutchouc continuaient leurs affaires comme si de rien n’était. En Sierra Leone, il a fallu que Tony Blair envoie ses forces spéciales en 2000 pour mettre fin au bain de sang.

De son côté, Taylor a commis une erreur fatale : selon les services secrets américains, il aurait été en cheville avec le réseau Al-Qaeda dans le trafic des « diamants du sang ». Les Etats-Unis se sont résolus à en finir avec un homme longtemps jugé fréquentable. Et pas seulement par Washington : vêtu de sa traditionnelle saharienne et muni d’une canne, il était encore à Paris en 2003, lors d’un sommet France-Afrique.

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