De Cherbourg à Maputo, les millions disparus de la Compagnie mozambicaine de thon

Vendredi 17 juillet 2015 — Dernier ajout mardi 1er octobre 2019

Enquête

De Cherbourg à Maputo, les millions disparus de la Compagnie mozambicaine de thon

Par Adrien Barbier (contributeur Le Monde Afrique, Maputo, Mozambique)

LE MONDE Le 17.07.2015 à 11h25 • Mis à jour le 17.07.2015 à 12h56

Quand près de 600 millions d’euros disparaissent entre la France, les Emirats et le Mozambique, ils ne sont probablement pas perdus pour tout le monde. Mais qui en a profité ? C’est la question que pose l’affaire Ematum, qui déchire la scène politique à Maputo depuis bientôt deux ans. Ematum, c’est le nom de la Compagnie mozambicaine de pêche au thon. C’est aussi une entreprise créée de toutes pièces et en urgence, pour un contrat qui ressemble moins à de la pêche qu’à de la fourniture d’armement. Ematum, c’est enfin l’un des sujets qui seront probablement abordés lors de la visite à Paris du président mozambicain Filipe Nyusi, lundi 20 juillet.

Tout commence par un cri de victoire aux chantiers navals de Cherbourg, le 5 septembre 2013. Ce jour-là, les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) annoncent une commande record de 30 bateaux par le Mozambique - 24 bateaux de pêche et 6 patrouilleurs – pour un contrat évalué à 200 millions d’euros. Présenté comme « le contrat du siècle » par le propriétaire des chantiers navals, le milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, cette commande est accueillie comme une aubaine par le gouvernement français, en pleine vague de « redressement productif ».

A Cherbourg, pas moins de trois ministres – Arnaud Montebourg, Bernard Cazeneuve et Nicole Bricq – se bousculent sur la photo aux côtés du ministre mozambicain de l’économie, Manuel Chang, pour célébrer le « made in France » et un contrat qui permettra de sauver le chantier et ses quelque 350 employés, au chômage technique depuis plusieurs mois. Sur le moment, personne ne relève que les CMN sont spécialisées dans les embarcations militaires et n’ont pas construit de navire pour la pêche au thon depuis 1989.

Surprise au Mozambique

En septembre et en octobre 2013, Ematum verse 835 millions de dollars en deux tranches sur le compte de la société Abu Dhabi Mar, la maison mère des chantiers CMN de Cherbourg, dont Iskandar Safa est le PDG. L’homme, considéré comme le Libanais le plus riche après la famille Hariri, a été condamné en France en 2009 dans le cadre de l’affaire Angolagate pour des versements d’argent inexpliqués à Jean-Charles Marchiani, le bras droit de Charles Pasqua. Il s’est ensuite fait discret en France, développant ses affaires notamment en Afrique où il est connu comme un ami personnel d’Armando Guebuza, président du Mozambique de 2005 à 2015 ou de Saif Al-Islam, le fils du colonel Kadhafi en Libye, où il envoie un ex-colonel de la Légion qui sera assassiné à Tripoli en janvier 2012. Avant de revenir sur le devant de la scène française en rachetant, en avril 2015, l’hebdomadaire de la droite conservatrice, Valeurs actuelles.

L’annonce de l’achat des bateaux crée cependant la surprise au Mozambique, où personne n’a jamais entendu parler d’une Compagnie mozambicaine de thon, présentée comme une entreprise privée mais détenue intégralement par des capitaux publics. C’est surtout le prix qui fait frémir : l’entreprise a contracté pour cet achat un prêt massif sous forme d’euro-obligations de 850 millions de dollars auprès du Crédit suisse et de la banque russe VTB Capital, à des taux très désavantageux. Un prêt pour lequel l’Etat mozambicain s’est porté garant, ce qui fait de cette opération financière la première émission de dette souveraine d’un pays qui, en 2001, avait bénéficié de l’effacement d’une grande partie de sa dette par le Club de Paris.

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