Procès improvisé de la veuve Habyarimana

Vendredi 26 janvier 2007 — Dernier ajout mardi 22 mai 2007

Procès improvisé de la veuve Habyarimana

L’épouse de l’ex-président rwandais demandait l’asile en France. On lui a renvoyé son rôle en 1994.

Par Christophe AYAD

QUOTIDIEN : vendredi 26 janvier 2007

Pour la première fois depuis 1994, Agathe Habyarimana s’est expliquée en public sur son rôle dans la planification du génocide au Rwanda.

Rarement la salle d’audience numéro 1 de la Commission des recours des réfugiés (CRR), à Montreuil, avait vu une telle affluence.

Supporteurs, adversaires, curieux et journalistes se pressaient pour voir cette femme de l’ombre, objet de toutes les suspicions et qui aime à se présenter comme une pauvre veuve ne se mêlant pas de politique. L’audience publique, qui a duré plus de cinq heures, s’est transformée en miniprocès de la femme du président Juvénal Habyarimana, assassiné le 6 avril 1994 dans un attentat contre son avion, qui donna le signal de départ du génocide qui a coûté la vie à quelque 800 000 Tutsis et opposants hutus.

Embarrassant. Un drôle de procès avec le rapporteur de la Commission dans le rôle du ministère public, des ténors du barreau parisien pour la défendre, un juge et deux assesseurs le secondant. Sauf qu’il n’y avait pas de témoin à la barre, ni de peine ou de non-lieu à la clé, mais un statut de réfugié politique pour le moins embarrassant. Le 10 janvier, l’Ofpra avait refusé la demande d’asile déposée par Mme Habyarimana, en 2004, dix ans après son arrivée en France. L’organisme avait jugé qu’elle ne pouvait y prétendre en raison de son rôle d’ « instigatrice » ou « complice » du génocide rwandais, tout en reconnaissant qu’un renvoi au Rwanda constituerait une « menace » contre sa personne.

Agathe Habyarimana a contesté, hier, cette décision devant la Commission des recours.

D’entrée, elle a été bousculée par le long et détaillé exposé du rapporteur de la Commission, Jan Kosmaluk. Ce dernier s’est livré à un véritable réquisitoire l’accusant d’avoir participé à des réunions de planification des massacres de Tutsis entre 1990 et 1994, d’exercer un rôle prépondérant et occulte dans le pouvoir via l’Akazu, une structure secrète au sein de laquelle siégeaient des proches dont ses frères et demi-frères Protais Zigiranyirazo, actuellement en jugement au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) d’Arusha, Elie Sagatwa et Séraphin Rwabukumba. Selon Kosmaluk, Agathe Habyarimana a participé à la fondation du magazine extrémiste Kangura et encouragé le financement de la Radio Mille Collines de sinistre mémoire. Plus grave encore, elle aurait ordonné le massacre du Premier ministre d’opposition Agathe Uwilingiyimana, le 7 avril 1994, et du personnel tutsi de son propre orphelinat.

Face à la charge, Agathe Habyarimana a une ligne de défense on ne peut plus simple : « Tout ce qui a été dit est mensonge. » Elle se présente comme une première dame qui élevait les enfants, faisait la cuisine, du jardinage ou des activités caritatives. Quand elle raconte l’attentat du 6 avril, elle s’effondre en larmes. « On ne parlait jamais de politique » , assure-t-elle. Elle n’écoutait pas la radio, ne lisait pas les journaux. Tout ce qui s’est passé, elle l’a appris après son exfiltration par l’armée française.

Soupirs. Toute cette littérature faisant d’elle la tête pensante des extrémistes de l’Akazu, « ce sont des mensonges » inventés par les opposants et répétés par les historiens, journalistes, ONG évidemment stipendiés. Si elle avait joué un tel rôle, fait remarquer son avocat Me Florand, pourquoi n’est-elle poursuivie ni en France, ni au Rwanda, ni par le TPIR ?

Lorsque les questions se font trop précises, elle soupire de fatigue, fait semblant de ne pas comprendre, pinaille sur un mot, un détail comme les enfants lorsqu’ils veulent détourner une réprimande. Elle juge ce qui est arrivé « déplorable » mais ne condamne rien ni personne. Si elle reconnaît un génocide, c’est celui de « 6 millions de Hutus et plus ».

Sur les Tutsis, pas un mot. « Les gens n’ont jamais eu pitié de moi , s’interroge-t-elle. Pourquoi ? »

© Libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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