Les paradis fiscaux : un problème réfracté

Lundi 5 octobre 2009

Octobre 2009 éditorial par A D

Les paradis fiscaux : un problème réfracté

Non seulement le débat printanier autour des paradis fiscaux et judiciaires tend-il à en présenter la « fin » alors qu’on commence à peine à en découvrir l’immensité du problème, mais il contribue de surcroît à isoler la question offshore comme si elle était fermée sur elle-même.

Or, on ne saurait, selon l’alignement des points d’instincts d’un ordre du jour bien ordonnancé, isoler le problème offshore d’autres enjeux tels que les soubresauts de l’économie réelle du fait de l’intense spéculation boursière ; les mouvements migratoires du Sud au Nord étant donné l’appauvrissement de pays allègrement pillés par leurs dictateurs, les multinationales étrangères et les régimes qui les soutiennent ; les grands trafics criminels ; les déficits budgétaires des États du Nord ou l’évasion fiscale…

La question des paradis fiscaux n’est un enjeu en soi qu’en tant qu’il traverse tous les secteurs de la vie publique. C’est donc le fondement politique des régimes qui disent lutter contre eux, et donc celui de leurs populations, qui se trouve questionné par ce problème. Car, subrepticement, la souveraineté offshore qui s’impose aujourd’hui, et qui se traduit par les décisions que prennent les acteurs nantis et puissants capables d’opérer techniquement depuis les États de complaisance, en est à faire perdre aux États traditionnels le peu d’impact qu’ils avaient sur la défense du bien commun et la redistribution des richesses. Que vaut désormais une mesure environnementale, une norme professionnelle, un impôt voué à financer le trésor public ou une commission de surveillance sur des trafics illicites quand, à l’extérieur, des juridictions par dizaines accueillent sur papier acteurs et actifs qui évoluent indépendamment de toutes ces contraintes ?

Ces questions ne se trouvent pas seulement posées comme relevant d’un problème en soi, mais elles trouvent leurs répercussions dans tous les secteurs d’activités concernés. C’est-à-dire que les paradis fiscaux et judiciaires se révèlent en ce siècle un problème réfracté. Ils affectent à peu près tous les domaines de l’existence.

Il s’entend donc que la cause de la démocratie – car c’est bien à terme cela que les États de complaisance mettent en péril – ne doit pas seulement se trouver défendue, eu égard à la problématique offshore comme telle, par des citoyens qui se mobiliseraient thématiquement sur ce point seulement. Puisque les paradis fiscaux affectent tous les secteurs d’activités, ce sont au contraire tous les acteurs des sphères concernées qui seront amenés, ces années-ci, à les considérer au titre d’un problème dans leur champ respectif. Déjà quant au financement du bien public, les groupes qui se penchent sur des questions aussi variées que le transport en commun, l’éducation publique ou l’assurance maladie universelle peuvent considérer que le manque à gagner dans les budgets qui concernent les dossiers qui les intéressent a à voir avec les échappatoires fiscales offshore et le dumping fiscal qu’ils entraînent dans nos juridictions. Il en va de même pour les groupes communautaires œuvrant dans le domaine de la désintoxication ou les associations de défense des sans-papiers, tout comme bien entendu les militants pour l’équité entre le Nord et le Sud, sans parler des enquêteurs judiciaires ou inspecteurs des impôts. Les syndicats ont également, chaque jour, mille raisons d’aborder de façon critique le rôle que jouent les paradis fiscaux dans les dossiers qu’ils défendent, de même que les épargnants qui se trouvent à tout moment potentiellement floués par des investisseurs hasardeux.

Le secret dans lequel se trouvent décidés des mesures et des actions offshore, soustraits à la politique, est de nature, parce que tout le monde s’en trouve à terme concerné, à susciter interrogations et mobilisation de la part de quiconque ayant encore quelque peu conscience des liens qu’il continue d’y avoir entre ses centres d’intérêts et le bien commun.

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