La bataille des paradis fiscaux est engagée

Jeudi 23 octobre 2008

La bataille des paradis fiscaux est engagée

Les pays européens proposent des mesures concrètes contre les paradis fiscaux, mais se querellent entre eux, s’accusant de tous profiter, à des degrés divers, de la fraude

Une offensive concrète contre l’argent de la fraude semble avoir été déclenchée après la conférence de mardi 21 octobre dénonçant les paradis fiscaux. L’évasion fiscale pourrait, dans un contexte de crise financière aiguë, devenir plus difficile. Les ONG regroupées dans la plate-forme « Paradis fiscaux et judiciaires » (1) l’espèrent. Elles ont salué hier « les engagements pris par les dirigeants français et leurs homologues de 16 autres pays de l’OCDE de ne plus accepter que des États et territoires prospèrent sur la fraude ». Tout en rappelant que « la réalité de cet engagement ne pourra être jugée qu’à l’aune des mesures effectivement adoptées ».

La France, moteur de l’offensive avec l’Allemagne, a détaillé mercredi par la voix du ministre du budget Éric Woerth ses mesures concrètes. À l’échelle nationale, elles entreront dans le collectif budgétaire qui sera présenté fin novembre. Paris pourrait créer « un service fiscal judiciaire » qui permettrait d’obtenir, pour les fraudes complexes, l’utilisation de moyens de police judiciaire. Bercy réfléchit à des amendes pour l’ouverture de comptes non déclarés à l’étranger, ou bien à rallonger les délais de prescription pour les contrôles fiscaux quand des paradis sont impliqués. Sont directement visés les « bonus » versés dans des paradis fiscaux aux dirigeants et aux traders.

La France réfléchit également à l’exclusion du « régime de faveur » en cas de fusion, si l’une des deux entités fusionnant appartient à un paradis fiscal. Ce régime autorise à ne pas taxer immédiatement les plus-values latentes de chacune des entités et profite aux grandes entreprises ayant un holding de tête dans un paradis fiscal.

Que faire de Monaco ?

Des mesures qui aident à comprendre l’imbrication de tous les pays développés dans les paradis fiscaux. Leurs banques, leurs entreprises et les plus riches de leurs citoyens en profitent sans pour autant sortir de la légalité. Éradiquer le fléau qui prospère aux portes des pays riches sera complexe. La France, qui tolère Andorre et Monaco à ses frontières, n’est pas exempte de critiques.

Que faire ainsi de Monaco ? La Principauté est administrée par la France qui lui fournit son ministre d’État, un haut fonctionnaire qui la gouverne et tient le rang de numéro deux après le prince Albert. La TVA perçue dans la Principauté fait l’objet d’un partage avec la France discuté en commission paritaire sous l’autorité du ministre français du budget. Et les plus importantes banques de Monaco sont des succursales d’établissements français.

« Monaco et Andorre vivent sur un acquis, explique Jacques Terray, de Transparence International. Ainsi, Monaco est propre dans ses échanges d’informations avec la France et opaque avec les autres. » Mais « ce ne sont pas des places majeures. Si Londres appliquait à la City, à l’île de Man et aux îles anglo-normandes la transparence en cours dans les grands pays continentaux, là, oui, la donne changerait énormément. »

« Le double langage » de Paris et Berlin

Mercredi 22 octobre, les pays européens montrés du doigt lors de la conférence ont vigoureusement dénoncé le double langage de Paris et Berlin. La Suisse a annoncé qu’elle allait convoquer l’ambassadeur d’Allemagne, après les propos du ministre des finances allemand estimant que le pays devrait « figurer sur la liste noire » des États non coopératifs. « Le Conseil fédéral (gouvernement) est mécontent » des propos tenus par Peer Steinbrück, a indiqué la ministre suisse des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey.

Appelé par Nicolas Sarkozy à lever le secret bancaire dans son pays, le chef du gouvernement, ministre des finances du Luxembourg, et président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a également réagi vivement. « Le président de la République s’insurge contre les paradis fiscaux (…) Moi, je pense que nous n’en sommes pas un », a lancé Jean-Claude Juncker.

Seules les mesures les plus générales proposées par Paris et Berlin ont trouvé un consensus. Demander à l’OCDE de réviser sa liste d’États et territoires non coopératifs semble acquis. Tenter d’interdire aux banques qui bénéficient d’un secours de l’État de travailler avec des paradis fiscaux paraît une solution de bon sens. Et revoir la directive épargne de l’Union européenne devient aux yeux de tous incontournable.

Nathalie LACUBE

(1) La plate-forme regroupe 13 ONG, dont le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, le CCFD, Foi et Justice, le Secours catholique Caritas, Transparence International… http://www.argentsale.org

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