Un crime politique en Corse. Claude Érignac, le préfet assassiné

Mardi 1er juin 1999 — Dernier ajout vendredi 22 juillet 2011

Un crime politique en Corse. Claude Érignac, le préfet assassiné, Alain LAVILLE, Le cherche midi, 1999, 305 p.

Publiée juste avant la révélation de la dérive pyromane du préfet de Corse Bernard Bonnet, et quelques semaines avant l’arrestation de quatre des assassins de son prédécesseur Claude Érignac, cette minutieuse enquête reste hautement instructive. Elle nous intéresse surtout par ce qui y est écrit du rôle-pivot tenu dans l’île par la Corsafrique, les « "réseaux Pasqua" […] qui en Corse, […] sont partout » (p. 297). Ils y réinvestissent une partie des gains pêchés dans le Golfe de Guinée - dans le pétrole, les jeux, et la vente en tous genres.

On ne présente plus à nos lecteurs la figure la plus connue, l’empereur des paris et casinos françafricains Robert Feliciaggi. C’est le « grand ami de Jean-Jérôme Colonna » (p. 115), « dit Jean-Jé, le "parrain" de l’île », « fiché au grand banditisme » - à la tête de la "bande du Valinco" (p. 113 et 116). Robert Feliciaggi est une « relation privilégiée » de Noël Pantalacci, « ex-conseiller de plusieurs chefs d’État africains », surnommé « le premier des Africains de Pasqua ».

Pantalacci a beaucoup fréquenté le Congo-Brazzaville. Avec la bénédiction d’André Tarallo (le manitou africain d’Elf) et en association avec Toussaint Luciani, il a obtenu la location-gérance d’Elf-Corse (environ 600 millions de FF de chiffre d’affaires), cédée ensuite… aux frères Feliciaggi.

Noël Pantalacci fut un « ennemi intime » du préfet Érignac (p. 115) - qui « s’intéresse peut-être d’un peu trop près » aux "réseaux Pasqua" (p. 154). Il a présidé la Cadec (Caisse de développement de la Corse), célèbre pour l’ampleur de ses prêts « inconsidérés » et irremboursables. Y compris à « Jean-Jé » (12 millions). Il défendit contre le préfet l’installation de 40 machines à sous au casino d’Ajaccio - doublant le premier lot de "bandits manchots" autorisé en 1993 par le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. "Jean-Jé" a « des intérêts » dans ce casino (p. 117).

Rapidement, l’enquête a ciblé un groupuscule nationaliste, composé notamment de leaders agricoles. Depuis 6 mois, le préfet Bonnet avait communiqué à la justice les noms des assassins et les moyens employés. Ne seraient-ils, comme le suggère l’ancien leader d’A Cuncolta François Santoni, que « les instruments de commanditaires dont les préoccupations sont bien éloignées de l’agriculture » (p. 300) ? Un « proche de l’enquête » s’étonne : « Nous ne nous sommes jamais aventurés dans les méandres de certains réseaux parisiens, toujours bien informés et rassemblant de longue date des intérêts politiques et financiers jusque dans l’île… Pourquoi ? ».

Pourquoi aussi l’épais « journal » du préfet assassiné, où se trouvait probablement consignée une somme d’informations ultrasensibles, a-t-il disparu ?

Signalons que l’on retrouve parmi les « suspects » un ex-légionnaire qui a « œuvré pour des groupes paramilitaires en Afrique » (p. 292). Autrement dit ce milieu mercenaire dont Bob Denard fut l’un des pôles et les Comores l’une des bases - déjà impliqué dans l’assassinat à Paris de Dulcie September (la représentante de l’ANC de Mandela), en 1988.

Extrait de Billets d’Afrique et d’Ailleurs N°71 - Juin 1999 -

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