Sortis de prison, les banquiers islandais en quête de réhabilitation

Dimanche 16 avril 2017

Sortis de prison, les banquiers islandais en quête de réhabilitation

Par AFP — 29 mars 2017 à 18:03 (mis à jour à 18:20)

Symboles d’un capitalisme financier hors de contrôle, ils se posent en victimes expiatoires : d’anciens banquiers islandais, condamnés pour leur rôle dans la crise de 2008, contestent devant la justice européenne les conditions de leurs procès.

En 2008, la petite Islande, écrasée par le poids de son système financier hypertrophié, mettait un genou à terre, nationalisait dans l’urgence trois banques en faillite (Kaupthing, Glitnir, Landsbanki) et appelait le Fonds monétaire international à la rescousse, une première dans un pays d’Europe occidentale en 25 ans.

La crise mit au jour les pratiques des banquiers qui surévaluaient sciemment les actifs de leurs établissements ou rachetaient leurs propres actions via des prêts en circuit fermé dans le but de rendre la mariée plus belle.

Sans le savoir, des milliers d’Islandais plaçaient leur épargne dans du sable. Des dizaines de « banksters » (contraction de « banquiers » et « gangsters ») ont été condamnés depuis, dont une vingtaine à de la prison, pour manipulation des marchés.

Plusieurs estiment qu’ils n’ont pas bénéficié d’un procès équitable et ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

  • « Boucs-émissaires » -

Condamné à quatre ans ferme en appel, Sigurdur Einarsson, ancien président du conseil d’administration de Kaupthing, est resté un an en détention. Il fustige une justice des « boucs-émissaires », qui a fermé les yeux sur les irrégularités ayant selon lui entaché son procès.

« Certains juges étaient partiaux, notamment parce qu’ils avaient perdu beaucoup d’argent pendant la crise économique », affirme-t-il dans un entretien exclusif à l’AFP à Reykjavik.

« Ce n’était pas un procès juste et équitable. C’est important, parce que l’Islande se targue d’être une démocratie occidentale et un des principes fondamentaux est d’assurer l’égalité de tous devant la justice ».

M. Einarsson reproche en particulier à un juge de la Cour suprême ses liaisons dangereuses : sa femme siégeait à l’autorité de supervision financière, sa fille au ministère des Finances et de l’économie, son fils au comité de mise en liquidation de la banque… Kaupthing.

Le juge et ses proches n’ont pas répondu aux sollicitations de l’AFP.

M. Einarsson et ses avocats dénoncent également de multiples entorses aux droits de la défense (écoutes téléphoniques, difficultés d’accès au dossier, longues détentions provisoires, etc).

Saisie par lui, la CEDH a adressé des questions au gouvernement islandais en juin 2016. Reykjavik a répondu une première fois en décembre, puis une seconde en mars dans un document de 64 pages dont l’AFP a obtenu copie.

Sans nier notamment la réalité des liens familiaux du juge au moment du procès, le gouvernement islandais note que la défense de M. Einarsson n’a jamais réclamé sa récusation à l’époque.

Le gouvernement récuse l’argumentaire de l’ex-banquier, considérant qu’« il n’y a eu aucune violation des droits du plaignant tels que prévu aux articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».

La CEDH a indiqué à l’AFP avoir reçu neuf requêtes liées aux procès des banquiers islandais. Seul le cas Einarsson a commencé à être étudié.

Sur le fond de l’affaire, M. Einarsson reconnaît des « pratiques » qui n’auraient plus cours aujourd’hui, mais oppose « agissements illégaux et mauvaises décisions commerciales ».

  • Les banquiers de retour -

Selon le gendarme financier islandais, la faillite de Kaupthing est l’une des plus importantes de l’Histoire en termes d’actifs engagés (83 milliards de dollars), loin néanmoins derrière Lehman Brothers (691 milliards).

De ces procédures devant la CEDH, la magistrate franco-norvégienne Eva Joly, qui a épaulé le procureur spécial islandais chargé d’instruire les procès de la crise, estime qu’elles représentent une tentative de réhabilitation « classique » chez les membres de la « classe dirigeante » condamnés pour leurs errements.

« Les hommes de pouvoir utilisent toujours les voies de droit », a plaidé Mme Joly, interrogée par l’AFP. Les banquiers islandais ont bénéficié du conseil des « meilleurs avocats », tandis que les magistrats croulaient sous les dossiers en travaillant souvent avec des bouts de ficelle.

« L’Islande a loué ses gardes-côtes à des pays africains pour financer cet effort » et elle trouve « admirable » l’opiniâtreté des juges islandais.

L’île bruisse aujourd’hui de rumeurs annonçant le retour des banquiers au premier plan, plus précisément dans le florissant secteur du tourisme.

Le ministre des Finances Benedikt Johannesson n’y voit pas à mal. « Je crois que les gens peuvent s’amender. Ils devraient être autorisés à exercer dans les affaires dès lors qu’ils respectent la loi », a-t-il indiqué à l’AFP.

AFP

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