Nicolas Sarkozy veut-il remercier les patrons ?

Samedi 13 octobre 2007 — Dernier ajout vendredi 12 octobre 2007

Fait Du Jour

« Nicolas Sarkozy veut-il remercier les patrons ? »

Propos recueillis par Elisabeth Fleury

vendredi 12 octobre 2007 | Le Parisien

ERIC HALPHEN, vice-président du tribunal de Paris et membre d’Anticor*

Vous avez passé des années à instruire des affaires financières. Quelle impression en retirez-vous ?

Contrairement aux apparences, le gros du droit pénal financier est constitué d’affaires dont personne ne parle. Le lot commun, c’est l’abus de bien social commis dans des petites sociétés familiales ou encore le repreneur qui découvre, six mois plus tard, que son prédécesseur a commis des indélicatesses de gestion. Ce ne sont pas des choses faramineuses, ni dans les montants, ni dans les enjeux. Et puis, il y a les fameuses affaires politico-financières : là, on touche à des choses plus volumineuses, plus risquées. Il ne faudrait pas que le projet de réforme vise, au nom de ces intérêts-là, à empêcher les juges de faire leur travail.

C’est un risque ?

Il faut que l’on m’explique ce que l’on entend par « dépénalisation du droit des affaires ». Dans le contexte actuel, avec l’affaire EADS et l’enquête préliminaire concernant l’UIMM, je ne vois pas comment on pourrait s’engager, sans précaution, dans une réforme d’ampleur. Nicolas Sarkozy veut-il remercier les patrons qui l’ont porté au pouvoir ?

L’abus de bien social (ABS) symbolise à lui seul le droit pénal financier. Les chefs d’entreprise considèrent que son usage dans le temps est excessif. Qu’en pensez-vous ?

On peut, effectivement, se poser la question de sa prescription. Au regard de la loi, l’ABS constitue un délit : il doit donc être prescrit au bout de trois ans. Mais ces trois ans courent-ils à partir de la commission des faits, ou à partir du moment où l’on en a connaissance ? C’est toute la question. Vu l’opacité des pratiques financières, la jurisprudence a choisi la seconde option. De fait, cela a conféré à l’ABS une forme d’imprescriptibilité qui, dans certains cas, peut paraître abusive. Je suis favorable à ce que l’on revienne à un délai de prescription de trois ans, mais il faudrait qu’il puisse être renouvelé dès lors que la majorité change au sein de l’entreprise.

Nicolas Sarkozy émet également des réserves sur la dénonciation anonyme.

Il est rarissime qu’un dossier politico-financier soit ouvert à partir d’une simple dénonciation anonyme. Mais il est vrai que, dans le cours des enquêtes, on reçoit parfois des courriers non signés, accompagnés de documents bancaires ou encore d’extraits de conseil d’administration. Les juges ne sont pas des idiots : ils n’accordent pas une foi aveugle à ces envois. Ils le vérifient. Ce qui m’étonne, c’est que la dénonciation anonyme est un outil privilégié dans les affaires de stupéfiants. Et là, curieusement, il ne semble pas question de la supprimer…

« La justice, en France, est plus clémente à l’égard des puissants »

Des chefs d’entreprise se plaignent des contrôles dont ils font l’objet. Certains accusent les juges de vouloir « se payer » les patrons…

C’est faux ! Le contrôle, au contraire, a eu tendance à se relâcher. Très peu d’affaires financières viennent en jugement. Quatre mille par an, ce n’est rien ! La réalité est tout autre : la justice, en France, est plus clémente à l’égard des puissants. Aux comparutions immédiates, des petits prévenus prennent régulièrement des peines de prison ferme pour des simples vols. Quand un patron détourne des millions d’euros, en revanche, il écope généralement d’une peine de sursis. Le scandale, il est dans cette mansuétude des juges. On ne peut pas à la fois parler de tolérance zéro à l’égard des délinquants de droit commun et favoriser l’impunité à l’égard des patrons et des politiques. Ou alors que les choses soient claires : Nicolas Sarkozy veut enterrer définitivement les affaires.

Que faire ?

Au lieu de dépénaliser le droit, au lieu de libéraliser les marchés publics, il faudrait encadrer davantage les pratiques. Il n’est pas acceptable, par exemple, que les commissaires aux comptes soient rémunérés par les sociétés qu’ils contrôlent : mieux vaudrait fonctionnariser cette profession. Il faudrait également créer une vraie coopération internationale et renforcer le rôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes : actuellement, faute de pouvoirs et de moyens, les principales infractions leur échappent. S’il n’y a plus de contrôles, plus de règles, c’est la loi du plus fort qui l’emportera.

Vous êtes aujourd’hui chargé de l’indemnisation des victimes d’accidents de la route. Vous sentez-vous mis au placard ?

Il est clair qu’on ne m’a affecté ni à l’instruction, ni aux affaires financières…

* Anticor est une association de lutte contre la corruption.

Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Parisien.

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