Le scandale du détournement des aides du FMI

Jeudi 16 septembre 1999 — Dernier ajout samedi 15 septembre 2007

Journal l’Humanité

Rubrique International

Article paru dans l’édition du 16 septembre 1999.

RUSSIE

Le scandale du détournement des aides du FMI

Près de quatre milliards de dollars alloués par le FMI en 1998 auraient été vendus à des banques privées. Où l’on retrouve les bons du Trésor responsables de la crise d’août.

Son départ du poste de procureur général en février ne l’a pas bâillonné : Iouri Skouratov s’obstine dans son opération « mains propres » face aux scandales financiers qui éclaboussent jusqu’au Kremlin. Il a relancé hier l’affaire du détournement des aides du FMI. Dans une interview au Moscow Times, l’ancien procureur général a confirmé que 3,9 des 4,8 milliards de dollars prêtés en 1998 par le Fonds monétaire international (FMI) auraient été vendus à des banques privées sans jamais transiter par la Russie. Dix-huit banques russes et étrangères se seraient ainsi débarrassées de leurs bons du Trésor (GKO) juste avant la crise d’août et le gel de ces titres. Ces mêmes GKO dont la pyramide financière de 40 milliards de dollars (524 milliards de francs) s’est effondrée en août 1998 lors de la dévaluation du rouble et le moratoire décrété sur leur remboursement. La population avait alors vu son niveau de vie chuter d’un quart.

L’argent aurait été transféré directement du compte de la Banque centrale de Russie (BCR) vers ceux ouverts auprès de la Bank of New York. Sur demande du Congrès américain, le FBI enquête. En France, le parquet de Paris a ouvert le 6 septembre une enquête préliminaire sur dénonciation de la Commission des opérations de Bourse (COB). Celle-ci s’appuie sur une loi de 1996 qui contraint les « gestionnaires d’un portefeuille pour le compte d’un tiers » à lui soumettre son programme d’activité.

C’est le rapport de la firme d’audit international Price Waterhouse, qui a enclenché l’engrenage. Il note que la BCR a spéculé sur le marché de bons du Trésor (hautement rentable mais très volatile) avec des rendements à 200 %, sans retrouver de traces du bénéfice des opérations. Dès 1993, la BCR s’est servie d’une filiale d’Eurobank basée à Jersey, paradis fiscal anglo-normand, pour placer un milliard de dollars de ses réserves. Explication avancée par les deux gouverneurs successifs de la Banque centrale : Ils devaient garantir la sécurité des réserves de la BCR, menacée, par des créanciers pressés, d’une saisie sur les avoirs de ses comptes au Luxembourg. Gouverneur de 1992 à 1994, Victor Guerachtchenko présente même la création de la Fimaco (Financial management company) comme un impératif de « sécurité nationale ».

Début juillet, Moscou avait négocié un rééchelonnement de sa dette publique de 120 milliards de francs avec le FMI et le Club de Paris. Les négociations sur la dette commerciale avec le Club de Londres furent reportées à septembre. Le Fonds s’était aussi engagé à verser 4,5 milliards de dollars (environ 27 milliards de francs) sur dix-sept mois. Les révélations qui ont succédé ont suffisamment inquiété les Américains pour que le secrétaire au Trésor, Larry Summers remette en cause début août le versement de la première tranche de 640 millions de dollars. Déclarations aussitôt atténuées par le FMI.

La corruption ou le blanchiment d’argent, devenus aussi symbolique de la Russie que la vodka ou les « kopeks », dérangeaient peu les Occidentaux et le FMI. Trop pressés de croire en l’avènement d’une économie de marché qui s’autorégulerait, ils ont fermé les yeux sur les détournements de fonds et l’utilisation de sociétés écrans. Directement touché dans sa crédibilité par les dernières déclarations, le Fonds monétaire international sourcille. Il n’envisage pas pour autant d’intensifier le contrôle sur l’utilisation de l’argent versé.

Dans une interview accordée samedi au Figaro, son directeur général estimait que « la Russie semble remplir ses engagements ». « Ce qui apparaît des recouvrements de l’impôt et du respect des variables monétaires est bon », a précisé Michel Camdessus. Il devait faire référence à la campagne de recouvrement fiscal qui pénalise une population écrasée par les arriérés de salaires, déjà misérables. Ou à la baisse début septembre du cours du rouble par rapport au dollar de 4,1 % en quarante-huit heures. La Banque centrale de Russie a abandonné dans le même temps ses prévisions d’un taux de change d’un dollar pour 25 roubles en 2000 et a cessé ses opérations de soutien.

GAËL CHOLLET

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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