La mafia privée de pizzo

Samedi 13 octobre 2007

Nº2240 SEMAINE DU JEUDI 11 Octobre 2007

Revolte contre cosa nostra

La mafia privée de pizzo

Les patrons siciliens refusent de payer le « pizzo », le racket imposé par les mafieux. Une première dans l’histoire du pays

Ce sont les nouveaux héros de l’anti-Mafia. Les industriels siciliens, appuyés par la Confindustria, ont déclaré la guerre au pizzo, le racket. Avec une décision sans précédent : l’exclusion de l’organisation patronale de quiconque aura accepté de verser l’impôt mafioso, qui frappe actuellement de 50% à 70% de l’activité économique de l’île : du vendeur de panelle (beignets) du marché de la Vucciria à Palerme jusqu’au grand patron d’une industrie pharmaceutique de Catane, en passant par le marchand de jouets d’Agrigente. Depuis le 1er septembre, les patrons, avec l’appui explicite de Luca di Montezemolo, leur leader, le PDG de Fiat, lancent leur opération Mains propres. Une grande première saluée avec enthousiasme par la société civile.

Salle d’audience du tribunal de Palerme le 18 septembre : « C’est lui, je le reconnais, il venait me réclamer le pizzo. » Il n’y a pas l’ombre d’une hésitation dans la voix de Vincenzo Conticello pour montrer publiquement, et faire condamner, le mafioso qui le rackettait. Cet homme s’était présenté, arrogant et sûr de lui, a lAntica Focaccena San Francesco, un resto historique de la capitale sicilienne : « 500 euros par mois et tu te mets en règle. » Dans le langage mafieux, se mettre en règle veut dire se placer sous la protection du boss de l’endroit. Conticello refuse, avertit les carabiniers, qui placent une caméra et enregistrent les visites successives, de plus en plus menaçantes, de l’« homme d’honneur » palermitain. Arrestation. Procès. Condamnation. Conticello dit se sentir tranquille, protégé par la police et plus encore par le soutien explicite de ses collègues du patronat.

A Catane, à l’autre bout de l’île, Andréa Vecchio gère la Cosedil, une entreprise de construction, 250 salariés et 20 millions de chiffre d’affaires. Trois jeunes gens à l’allure typique se présentent dans ses bureaux et réclament - pour garantir, disent-ils, la protection des chantiers - 3% sur une commande de 6 millions d’euros. Plus 15 000 euros par an de pizzo. Vecchio refuse : « 15 000 coups de pied auc… » réplique-t-il. Il subit trois attentats en trois jours. Nous sommes alors à la fin août. Vecchio embauche un garde armé, qui est malheureusement contraint de s’absenter la nuit du 1er septembre. Deux de ses camions sautent sur le chantier. Vecchio informe alors la police et dénonce les racketteurs. Il est maintenant à la tête des rebelles anti-Mafia. Soutenu par le jeune président des industriels de Catane, Ivan Lo Bello, 44 ans, des études à Harvard et à Berkeley, qui explique : « Payer le pizzo n’est pas un acte neutre, mais un sou tien implicite a une organisation criminelle. » Ajoutant, lorsqu’on l’interroge sur les méthodes du patronat pour pincer les contrevenants : « Nous lirons les réquisitoires, les procès-verbaux d’interrogatoire et les verdicts. Et nous chasserons quiconque est cité comme complice des extorsions. » Mais il corrige aussitôt : « Cela dit, notre problème n’est pas forcément d’expulser un de nos membres, mais de décourager d’accepter le racket. »

Lo Bello est aidé dans cette tâche par les jeunes d’Addiopizzo - Adieu racket -, une association née il y a un an à Palerme à laquelle adhèrent déjà 197 industriels, 92 écoles et 9 065 consommateurs qui soutiennent explicitement ce mouvement anti-Mafia.

En quoi consiste Addiopizzo ? Un beau matin de septembre 2006, un quarteron de jeunes Palermitains tapisse les murs de la ville d’affiches on ne peut plus claires : « Un peuple qui paie le pizzo est un peuple sans dignité. » Puis ils font le tour des commerçants, hôteliers, restaurateurs, industriels. Curieusement, la mayonnaise prend. Celui qui ne paie pas le pizzo entend tout à coup le faire savoir au consommateur avec un simple autocollant sur sa vitrine ou son bureau qui mentionne Addiopizzo. Le Palermitain sait alors quand il a affaire à quelqu’un qui ne se plie pas à Cosa Nostra. Et se sert chez lui. C’est peu ? « C’est énorme, répond Tano Grasso, président de la fédération antiracket. On commence à attaquer de front un problème structurel : celui de la liberté d’entreprise. Un quart de l’Italie est obligé de vivre sous la loi du racket et donc de la Mafia, qui est devenue la principale régulatrice du marché. »

Un quart d’une Italie qui est membre de l’Union européenne.

Marcelle Padovani

Le Nouvel Observateur

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