L’ex-préfet Marchiani, un homme à découvert…

Mercredi 13 avril 2005 — Dernier ajout mardi 7 août 2007

L’ex-préfet Marchiani, un homme à découvert…

L’ancien conseiller de Pasqua, bientôt jugé pour trafic d’influence, détenait de multiples comptes en Suisse.

Par Fabrice TASSEL

mercredi 13 avril 2005 (Liberation - 06:00)

Le parcours judiciaire de l’ancien préfet du Var Jean-Charles Marchiani s’accélère à nouveau. Le 23 mars, puis le 7 avril, le juge Philippe Courroye a ordonné le renvoi devant un tribunal de l’ancien conseiller de Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur entre 1993 et 1995. Conformément aux réquisitions du parquet de Paris, il sera jugé pour « trafic d’influence par personne dépositaire de l’autorité publique » et « recel d’abus de biens sociaux ». Rarement des affaires financières auront autant mis en lumière les dérapages d’un haut fonctionnaire soupçonné, dans le cadre de ses fonctions, de s’être bâti une fortune privée considérable.

Pots-de-vin. Les deux affaires suivent la même trame : Jean-Charles Marchiani est soupçonné d’avoir favorisé des entreprises candidates à des marchés publics en échange de pots-de-vin. Dans un cas, il s’agissait d’une entreprise allemande ­ Renk ­ qui souhaitait passer un contrat avec Giat Industries pour équiper en boîtes de vitesses 436 chars Leclerc destinés aux Emirats arabes unis. Dans l’autre marché, la société Vanderland a rémunéré Marchiani pour obtenir un marché de tri des bagages avec Aéroports de Paris.

La plongée dans les comptes bancaires de Marchiani, effectuée par la police et le juge Courroye, avec l’aide de la justice suisse, est édifiante. Entre 1979 et 1997, l’ex-député européen (RPF) a ouvert six comptes en Suisse : « H7 », « Alex », « Sopar », « Irish », « Stef » et « Rich ». Dans le dossier des boîtes de vitesses, Renk a versé sur ces divers comptes 1 250 225,60 euros pour l’aide apportée à la négociation du contrat. Deux salariés allemands de Renk, ainsi qu’Yves Manuel, un intermédiaire proche de Marchiani, ont confirmé le système aux enquêteurs .

Le compte « Stef » semblait le plus animé. De 1994 à 1999, Renk y a versé 2 296 823 marks et 55 731 euros. En 1993 et 1994, Vanderland, la société corruptrice dans le marché de tri des bagages, y a viré 3 068 901 francs, et au total, sur l’ensemble des comptes, 1,4 million d’euros. Brenco, société appartenant à Pierre Falcone ­ poursuivi par le juge Courroye dans une affaire de ventes d’armes vers l’Angola ­, a versé 2 050 000 francs et 371 500 dollars. En juin 2000, « Stef » affichait un solde positif de 1 551 679 euros.

Pour justifier ces sommes, difficilement compatibles avec le traitement d’un préfet, Marchiani a évoqué des missions effectuées pour le compte de l’Etat. Ainsi deux virements conséquents, de 10 et 11 millions de francs, effectués en octobre 1995, étaient liés, selon l’ancien préfet, à la libération de deux otages français au Liban, puis à l’exfiltration vers la France par les services secrets du général Aoun. Ces 21 millions de francs seraient le remboursement des frais que Marchiani avait avancés pour ces opérations.

Missions. De nombreux hommes politiques et hauts fonctionnaires ont démenti cette lecture des faits. Deux anciens premiers ministres, Edouard Balladur et Alain Juppé, ne se sont pas souvenus des missions invoquées par Marchiani. Ancien ministre de la Défense, François Léotard a affirmé : « La DGSE dispose de plusieurs centaines de millions de francs par an pour ce type d’opération et l’Etat n’a pas besoin de passer par ce type d’officine privée et par Jean-Charles Marchiani. L’explication que l’on vous a présentée sur le fondement de ce compte m’apparaît cocasse. »

L’ancien directeur de la DGSE entre 1993 et 2000, Jacques Dewatre, a expliqué : « La République a les moyens de faire face aux situations les plus complexes sans avoir recours à ce que décrit M. Marchiani. Il n’y a jamais eu de solde de compte bancaire positif en Suisse dont un fonctionnaire serait l’ayant droit économique. » Même Charles Pasqua s’est déclaré « surpris de constater qu’alors qu’il occupait des fonctions au ministère de l’Intérieur M. Marchiani ait pu percevoir de telles sommes » : « Je découvre ces agissements aujourd’hui que je considère comme anormaux et inadmissibles. »

© libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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