Contes et légendes de la Chiraquie

Mercredi 19 mars 2008

Contes et légendes de la Chiraquie

Enquête. Un livre revient sur le compte nippon de l’ancien président.

RENAUD LECADRE

QUOTIDIEN : mercredi 19 mars 2008

Il n’y a toujours pas de preuve que Chirac eut disposé d’un compte bancaire au Japon. Peu importe, cela n’aurait en soi rien de délictuel. Mais l’acharnement de la chiraquie à démentir rend l’affaire a contrario suspecte. Dans L’incroyable histoire du compte japonais de Jacques Chirac (éd. les Arènes, à paraître demain), Nicolas Beau et Olivier Toscer (journalistes à Bakchich.info et au Nouvel Obs) reviennent sur les petites et grandes manœuvres visant à réécrire l’histoire des relations singulières entre Jacques Chirac et le banquier japonais Shoichi Osada.

Bretelles. Un pan de l’histoire a déjà été dévoilé en marge de l’affaire Clearstream, grâce aux carnets et confessions du général Rondot (Libération du 17 novembre 2006). Cet électron libre du renseignement a donné corps à la rumeur du compte présidentiel au Japon : « A ma connaissance, ce compte avait été ouvert en 1992. […] Le compte existe bien, il est alimenté. » Après remontage de bretelles en haut lieu, Rondot a fait machine arrière : « Il n’y a pas de compte au Japon, c’est un mauvais procès fait au Président. »

Les auteurs détaillent le rétropédalage similaire de la DGSE, entre 2001 et 2002, au moment où la cohabitation entre Chirac et Jospin devient plus tendue. Un premier rapport interne concluait en septembre 2001 : « L’enquête a porté sur les avoirs du président Chirac dans la Tokyo Sowa Bank et sur les liens, supposés, de Madame Chirac avec un financier russe. » S’agissant de Monsieur, le présent de l’indicatif est de mise, seule Bernadette bénéficiant du conditionnel. En janvier 2002, un second rapport ramène le compte nippon à une simple « information de presse non recoupée », publiée par un hebdomadaire local, équivalent de Playboy. Invention :ce journal n’a pas écrit une ligne sur un éventuel compte de Chirac. Le tuyau provient d’un honorable correspondant de la DGSE (un télex interne en fait foi). Le compte présidentiel n’est toujours pas attesté, mais son démenti est bidon.

En janvier dernier, l’avocat de l’ex-président, Me Jean Veil, a cru bien faire en faisant fuiter dans le Point une requête privée concluant qu’il « n’existe pas de compte bancaire au nom de Jacques Chirac à la date de la cession d’exploitation de la Tokyo Sowa Bank », l’hebdomadaire titrant alors « Chirac, le compte et la légende ». Mais à trop vouloir bien faire… La « date de cession », c’est juin 2001, après la faillite de la banque, certains de ses actifs étant repris par la Tokyo Star Bank. Or nul n’a jamais prétendu que Chirac aurait détenu un compte nippon jusqu’à cette date - la rumeur ayant démarré cinq ans plus tôt, il aurait été bien sot de le conserver. Quand à la période antérieure, l’attestation bancaire brandie par Me Veil répond que, désolé, « les archives étant volumineuses, il est impossible de les vérifier dans leur totalité. »

En retour, les auteurs mentionnent une étude de décembre 2004, commandée par une institution financière européenne à un cabinet de consultants spécialisé sur le Japon : il évoque la Sowa Bank comme « impliquée dans les commissions occultes sur les marchés du BTP à Paris, les comptes refuge, dont l’un pour Jacques Chirac, pour ses fréquents séjours au Japon. » Son sympathique tropisme nippon est bien connu, mais son compagnonnage avec le sulfureux Shoichi Osada (condamné à trois ans de prison avec sursis après la faillite de la Sowa Bank) a été soigneusement caché.

Virginité. Le livre dévoile une autre figure, Ryoichi Sasakawa, ancien criminel de guerre recyclé dans les jeux et la prostitution, s’étant refait une virginité dans le mécénat culturel. Sous la première cohabitation, Chirac avait soutenu son projet de fondation en France, envisageant de lui remettre la Légion d’honneur. Mais c’est le pouvoir socialiste qui lui accordera sa déclaration d’utilité publique - Rocard cédant aux pressions de Lang, Dumas et Huchon d’un « Vu… ras-le-bol ». Voila pourquoi la gauche n’a jamais osé s’en prendre aux nipponeries de Chirac.

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