« Ces listes sont une vaste rigolade »

Dimanche 5 avril 2009 — Dernier ajout mercredi 1er novembre 2017

PARADIS FISCAUX

« Ces listes sont une vaste rigolade »

par Eric Vernier, docteur en finance et auteur de "Techniques de blanchiment et moyens de lutte" (Dunod, 2008)

Qu’est qu’un paradis fiscal exactement ?

  • Il n’y a pas de définition précise des paradis fiscaux, celle-ci varie en effet d’un organisme à l’autre. L’OCDE a une vision assez restrictive du paradis fiscal tandis qu’Attac a une vision plus large. Quant à la Suisse, elle déclare ne pas être un paradis fiscal. Suivant les organismes leur nombre peut donc passer de 20 à 80 ou 90 mais globalement, on considère comme paradis fiscal tous les pays où on ne paie pas ou très peu d’impôts. Précisons aussi que finalement ce n’est pas tant les paradis fiscaux qui posent problème mais le fait que ces pays sont généralement aussi des paradis bancaires et réglementaires. Ce sont des Etats où l’on peut mettre de l’argent sans le déclarer dans son pays d’origine et surtout, des pays qui ne posent aucune question sur la provenance des fonds.

Quel est la différence entre liste noire, liste grise et liste blanche

  • Ces listes classent les pays. Sur liste noire ceux qui répondent le moins aux exigences internationales. Sur liste grise, les paradis fiscaux qui font des efforts notamment en matière d’assouplissement bancaire et sur liste blanche, les états qui jouent le jeu et luttent, par exemple, activement contre le blanchiment d’argent.

Pourquoi le G20 et particulièrement la France ont-ils insisté pour établir ces listes ?

  • Tout est affaire de gesticulation et ces listes sont uniquement déclaratives. L’objectif était de montrer qu’on avait une vraie volonté d’agir mais finalement on a droit à un effet d’annonce comme nous a habitué Nicolas Sarkozy. Même si ce projet était préparé depuis des semaines, le résultat est une vaste rigolade. Quant on voit que la Russie ou Jersey sont sur liste blanche, on est en droit de se poser des questions. Finalement, chacun a négocié en fonction de ses propres intérêts et ménagé ses « amis ». Les raisons qui ont abouti à ce classement sont essentiellement stratégiques ou économiques. Certains ont voulu protéger Macau d’autres Chypre et finalement, les pays sur liste noire sont, sans doute, ceux qui ont le moins d’« amis » sur la scène internationale. Le consensus final est en tout cas très étonnant.

Que demande exactement l’OCDE aux pays considérés comme des paradis fiscaux ?

  • L’OCDE demande essentiellement la levée du secret bancaire, un véritable plan de lutte contre le blanchiment d’argent et une reconnaissance de la fraude fiscale. Le problème, c’est que même si l’OCDE a certaines exigences, elle n’a pas vraiment de moyens de pression. Elle peut éventuellement attribuer un peu moins d’aides mais elle n’a pas les pouvoirs du FMI (fonds monétaire international) par exemple.

Pourquoi les pays refusent-ils de se plier aux exigences de l’OCDE ?

  • Grâce à leur fiscalité avantageuse, les pays récupèrent des devises. Les entreprises qui mettent de l’argent dans les paradis fiscaux ne paient pas d’impôts mais les banques qui hébergent cet argent en paient. De plus, l’installation de grandes banques permet de créer des emplois dans la restauration, dans les services de nettoyage… Quant aux personnes qui déposent leur argent, elles en profitent souvent pour venir, surtout si c’est sur une île, ce qui rapporte encore de l’argent aux pays.

Pour les pays sur liste grise, y-a-t-il eu une véritable volonté de transparence ?

  • Les pays qui sont sur liste grise, c’est-à-dire ceux qui ont fait quelques efforts, ont surtout négocié ces dernières semaines pour éviter de se retrouver sur liste noire. En réalité, rien n’a changé. Par exemple, la Belgique s’est battue pour ne pas figurer sur la liste noire mais en quelques semaines, il est difficile pour elle de modifier les règles. Alors, beaucoup de promesses ont été faites, reste à voir si elles seront tenues.

Est-ce vraiment les Etats les moins coopératifs qui sont sur la liste noire ?

  • Les pays sur la liste noire ne sont pas coopératifs mais comme je l’ai dit, d’autres facteurs rentrent en ligne de compte comme les appuis internationaux dont bénéficient certains paradis fiscaux.

Quelles conséquences pour les pays sur liste noire ou sur liste grise ?

  • Pour les Etats, ces listes n’ont aucun sens car elles n’auront aucune conséquence. Quant au FMI, qui a, lui, un vrai moyen de pression, il agit déjà avec ou sans liste. Preuve que ces listes ne servent à rien, la liste publiée par le GAFI, un groupe d’action financière, qui est vide depuis plusieurs années.

Est-ce que ces listes vont réellement permettre de changer les choses, d’avoir plus de transparence ?

  • Ces listes ne vont rien changer, simplement parce qu’elles ne ressemblent à rien. Avoir quatre pays sur la liste noire ne correspond à rien. Pour les entreprises, il pourrait y avoir éventuellement plus de contrôle dans les comptes. Cependant quand une grande entreprise française annonce sans aucune gêne qu’elle n’a pas d’argent au Lichtenstein mais dans les paradis fiscaux, on peut douter de l’efficacité de ces listes. Cette mesure ne change rien et n’inquiète personne, en tout cas pas ceux qui blanchissent de l’argent. Au pire, si certains paradis deviennent un peu moins paradisiaque, on en changera, ça n’est pas un problème.

Interview d’Eric Vernier par Ophélie Rat (le vendredi 3 avril 2009)

© Le Nouvel Observateur

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