Apartheid Guns and Money : A Tale of Profit

Dimanche 3 septembre 2017

1 sept. 2017 Par jacqueline Derens

Médiapart / Blog : Le blog de Jacqueline Derens

Un gros volume de 600 pages, résultat de l’examen de 40 000 documents d’archives déclassifiés en Afrique du Sud et six autres pays, vient mettre à mal beaucoup d’idées reçues. Tous les pays occidentaux, et d’autres, ont soutenu le régime d’apartheid par des transactions secrètes violant les sanctions globales et obligatoires des Nations unies. Ces liens anciens alimentent corruption et transaction

Le livre écrit par Hennie van Vuuren rassemble des informations contenues dans les archives aujourd’hui accessibles, les recherches universitaires, les documents, les livres et articles de journaux concernant les liens entretenus par les pays, les banques, les marchands d’armes, de pétrole, pendant des années avec les dirigeants sud-africains du régime d’apartheid. Des acteurs ont bien voulu répondre à des entretiens, la plupart du temps pour justifier leurs actions passées et sans jamais exprimer le moindre remords. Mais le lecteur ne saura pas tout, car les services secrets sud-africains (National Intelligence Agency) ont pris soin de détruire 44 tonnes de documents. Certains mystères resteront des mystères, à moins que des langues ne se délient avant de se taire définitivement.

[…] Le livre se compose de 13 chapitres, augmentés d’abondantes notes et annexes. Cinq chapitres sont consacrés aux cinq « grands » du Conseil de Sécurité de l’Onu : France, Union soviétique, Etats-Unis d’Amérique, Royaume uni et République populaire de Chine. Trois chapitres traitent du secret qui entourait toute activité de l’état sud-africain, du Broederbond, cette société secrète qui liait par serment les dirigeants afrikaners, à l’économie cachée et aux relations internationales dissimulées ; deux chapitres concernent le rôle fondamental des banques suisses, belges et luxembourgeoises, qui ont financé la machine de guerre de l’apartheid ; un chapitre met à jour le rôle des intermédiaires et faussaires, un autre celui des états parias : l’Argentine, le Chili de Pinochet, Taïwan et Israël, un acteur essentiel pour la maitrise de la technologie nucléaire.

[…] Le chapitre 6 est consacré à la France. Il est résumé par un schéma explicite intitulé The Paris Arms Bazaar, The French Connection , sur fond de carte de Paris, indiquant des points stratégiques : le Quai d’Orsay, l’Hôtel Matignon, le Palais de l’Elysée, les services secrets français DGSE ou la Piscine, le siège de Thomson CSF à la Défense, pour l’Etat français ; l’Ambassade d’Afrique du Sud et le bureau de l’ANC. Entre ces protagonistes erre le fantôme de Dulcie September.

Le chapitre France commence par ces mots « Dulcie September n’a pas été assassinée, elle a été effacée ». Par un tueur à gages, le 29 mars 1988, alors qu’elle allait ouvrir la porte de son bureau parisien, situé au 28 rue des Petites Ecuries. Mais tuée par qui et sur l’ordre de qui ? Peu documents sur Dulcie, ses archives personnelles ont été vite triées par son successeur, Solly Smith, agent double au service de l’apartheid ; celles que l’on trouve à Fort Hare montrent que Dulcie avait eu vent des trafics illicites d’armes entre la France et le régime d’apartheid et menaçait de faire du bruit, elle avait d’ailleurs dit dans un de ses discours : « pour les ventes d’armes au régime de Pretoria, la France est le second plus important collaborateur, après Israël… Cette collaboration militaire et nucléaire est une menace pour la paix sur le continent africain »[1].

Pour les anciens militants anti-apartheid, ce n’est pas vraiment un scoop, mais ce qui est intéressant dans ce chapitre est de découvrir comment fonctionnait cette « ruche sur la Seine » réunissant l’Etat français, les usines d’armement et les marchands d’armes pour contourner l’embargo des Nations Unies sur les armes et le pétrole. La « ruche », à quelques mètres du ministère des affaires étrangères français, c’était l’ambassade d’Afrique du Sud, qui a abrité dans ses sous-sols, de 1970 à 1990, une vingtaine de responsables d’Armscor, l’entreprise publique d’armement de l’Afrique du Sud, chargée de l’achat et de la vente d’armes. De ce quartier général parisien, Armscor pouvait tranquillement acheter avions, hélicoptères et autres missiles dont l’Afrique du Sud avait besoin, auprès de Dassault, Thomson CSF, Matra, Turbomeca, Alstom, etc. La technologie nucléaire était fournie par Framatome. C’est aussi de Paris que les transactions se faisaient avec d’autres pays et des marchands d’armes connus. Tous les Présidents français, Giscard d’Estaing, Miterrand et Chirac, ont juré respecter scrupuleusement les directives onusiennes, mais sans tenir leurs actes en conformité avec leurs engagements. La Direction générale de l’armement (DGA) a même proposé, en 1977, à Armscor, d’acquérir du matériel français via des pays intermédiaires comme l’Argentine ou le Brésil, pour plus de discrétion…

Ce passé de coups tordus, de mensonges et corruption, où tous les coups étaient permis pour se débarrasser des gêneurs, pèse très lourd aujourd’hui du haut en bas de l’Etat sud-africain. La corruption du passé s’est tranquillement recyclée avec le nouveau pouvoir. Dans le scandale de l’achat d’armes par le gouvernement sud–africain à la fin des années 1990, on retrouve les mêmes corrupteurs, les mêmes noms reviennent, les mêmes combines sont utilisées, y compris l’emploi de tueurs à gages pour faire place nette à ceux qui n’ont plus guère qu’une idée en tête : s’enrichir par tous les moyens, le plus vite possible. Lire la suite.

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